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dérée comme un jargon barbare, indigne d’occuper les instans de doctes personnages nourris de la moelle des auteurs grecs et latins. Il est vrai que, de leur côté, les patriotes basques déclaraient leur langue bien supérieure à toutes les autres : d’après eux, c’était en eskuara que le premier homme avait salué la lumière en naissant à la vie ; l’orthodoxie locale érigea même en article de foi que Dieu parlait basque en se promenant avec Adam et Ève dans le paradis terrestre, et bien mal venu aurait été l’étranger qui se serait permis d’émettre un doute sur ce fait primitif de l’histoire humaine. Tout récemment encore, Augustin Chaho, le dernier et vaillant champion des gloires euskariennes, attribuait « la perfection idéale » à l’idiome de sa patrie, et s’il n’en faisait plus la langue des dieux, c’était du moins pour lui celle des « sages et des voyants. »

Désormais la science n’a plus à discuter la question de savoir si le basque est un langage divin, supérieur en dignité à ceux de tous les peuples de la terre nés loin des Pyrénées ; mais ce qu’il importe de connaître, ce sont les rapports de filiation ou simplement de parenté qui pourraient exister entre l’eskuara et d’autres idiomes. Parmi les huit cents langues parlées dans les diverses parties du monde, en est-il une ou plusieurs qui ressemblent à la fois par les mots et par le génie aux divers dialectes ibériens, ou bien le basque est-il, dans sa pureté première, un langage complètement indépendant de tout autre, et le peuple qui le parle est-il, en conséquence, distinct par l’origine de toutes les nations de la terre, voisines ou éloignées ? Les Ibériens, restés sans frères sur les continens, seraient-ils les débris d’une ancienne humanité, assiégée de toutes parts, comme une île rongée des vagues, par les flots envahissans d’une humanité plus moderne? Tel est le problème qu’ont à résoudre les recherches des linguistes.

Tout d’abord, et malgré de singulières ressemblances entre quelques racines, les langues indo-germaniques ont dû être écartées de la comparaison avec le basque, car ce sont des langues à flexions, répondant à une période de l’esprit humain bien différente de celle où se sont formés les idiomes « agglutinans » ou « agglomérans, » comme l’eskuara. Par la syntaxe, les dialectes biscayens n’ont aucun rapport avec l’espagnol et le français, ni même avec aucun des langages provenant de la souche aryenne. Il est vrai qu’un très grand nombre de mots se retrouvent à la fois dans le basque et le latin ; mais ces mots sont des emprunts faits jadis par les ancêtres des Romains à l’idiome des Ibères, alors parlé sur la plupart des côtes de la Méditerranée occidentale, ou bien ce sont des acquisitions modernes dont les aborigènes des deux versans pyrénéens ont dû enrichir leur parole pour exprimer tout ce qui, dans