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mands des campagnes de Vérone et de Vicence, envahirent la plupart des hautes vallées et, derrière leurs flots qui se rejoignent, les districts allemands connus sous le nom des sept et des treize communes restèrent comme deux îles incessamment amoindries par les érosions de la mer. Entre le Béarn et les vallées des Basques, pareil phénomène de flux et de reflux ne s’est point accompli : les Euskariens, libres chez eux, propriétaires du sol, organisés en république fédérale, n’avaient point à craindre d’invasion et respectaient eux-mêmes l’avoir et la tranquillité de leurs voisins plus faibles. C’est dans les temps modernes seulement que leur idiome s’est trouvé de nouveau menacé dans son existence. Centralisation administrative et politique, industrie, commerce, mouvement social, tout, jusqu’aux progrès de l’éducation, se ligue à la fois contre eux pour étouffer leur noble langue.

Toutefois ce n’est point de vive force que le français et l’espagnol se substituent au basque ; ils conquièrent le pays, mais non pas en annexant successivement à leur domaine les villages les plus rapprochés de leurs frontières ; à peine s’emparent-ils çà et là de quelques fermes passant par voie d’achat entre les mains de nouveaux propriétaires. Autour de l’eskuara, comme autour de tous les patois parlés en France, la limite idéale reste la même, et pourtant la langue n’en périt pas moins. Modifiée par un phénomène constant d’intussusception, elle se mélange avec des mots d’origine étrangère contraires à son génie, elle perd ses tournures élégantes et cherche à s’accommoder de plus en plus à l’esprit des étrangers qui viennent s’établir dans le pays : elle perd sans cesse en originalité et se transforme graduellement en jargon. Chaque grande route qui pénètre dans le territoire basque fait en même temps une trouée dans la langue elle-même. Agens pour le mélange des peuples, aussi bien que moyens de transport pour les marchandises, les chemins de fer de Bayonne à Vittoria, de Bilbao à Miranda, d’Alsasua à Pampelune exercent l’influence la plus fatale à la pureté de l’idiome, et prochainement les locomotives de la voie des Aldudes, passant dans les vallées les plus reculées du pays basque, seront pour l’eskuara des engins de destruction bien plus terribles encore. Tôt ou tard les provinces euskariennes des deux versans, complètement percées dans tous les sens par des voies de communication, appartiendront aux étrangers autant qu’aux indigènes eux-mêmes, et ceux-ci, obligés de savoir deux langues à la fois, finiront par se passer de celle qui leur sera le moins utile.

Bien que les patriotes basques aient naturellement à se plaindre de l’inexorable nécessité des choses, il est certain que désormais chaque progrès sera fatal au maintien des dialectes euskariens qui