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que l’on y semblait vouloir dérober à tous les regards. En homme bien appris, il crut lui devoir quelques complimens sur le danger qu’elle paraissait avoir couru, et le hasard ayant voulu que le portier ne fût point à son poste quand il franchit le seuil de l’hôtel, il éluda sans le savoir la consigne, rigoureusement donnée, de ne laisser pénétrer âme qui vive chez la charmante prisonnière.

M. de Fresne monta sans demander son chemin jusqu’à l’appartement où il la savait logée, et, ne la trouvant point dans sa chambre, il crut pouvoir sans indiscrétion, vu l’heure où il se présentait ainsi, ouvrir un petit cabinet où Mme de Novion s’était retirée. Il l’y trouva seule, assise dans un fauteuil et le visage baigné de larmes, tellement accablée, tellement saisie, qu’elle pouvait à peine parler.

A ses pieds, froissée et presque en lambeaux, était une lettre de l’infâme d’Egvilly, lettre que ce fourbe venait de lui faire tenir en secret. Spéculant sur les inquiétudes auxquelles il la savait en proie, sur l’efficacité des secours qu’il pouvait lui fournir, pour lui faire accepter l’aveu, longtemps différé, d’une passion que toutes les infortunes du monde n’eussent pu rendre intéressante à la personne qui l’inspirait : « Quand il vous plaira de m’employer à votre service, lui disait-il en terminant cette déclaration anonyme, je vous obéirai toujours comme le moindre de vos valets. » C’était sur ce mot que, sans pousser plus loin sa lecture, Mme de Novion venait de jeter la lettre avec un mouvement de dégoût, lorsque parut devant elle le jeune marquis, étonné, confus, interdit à la vue de ces beaux yeux noyés de larmes, de ce noble front à qui une généreuse indignation faisait comme une sorte de nimbe. — Madame, lui dit-il aussitôt que la surprise lui permit de parler, je ne sais si ma visite est bien opportune; mais, puisque le sort m’a conduit auprès de vous dans un moment où se lisent sur votre visage les marques de la plus violente douleur, trouvez bon que je vous en demande la cause, et permettez-moi de la partager... »

Un soupir fut d’abord toute la réponse qu’obtint ce langage dont l’accent dénotait la parfaite sincérité; mais ce soupir, qui trouva mille échos dans le cœur du marquis, décida de sa destinée.


II.

Au risque de passer pour un trouble-fête, — un fâcheux, comme on disait en ce temps-là, — nous prendrons la liberté de laisser un instant nos deux jeunes gens en pleine possession d’eux-mêmes, dans ce cabinet où ils ne tarderont sans doute pas à être interrom-