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but, ce but fut bientôt dépassé; le nombre des victimes était tel que chacun s’attendait à voir arriver son tour, et se préparait au supplice avec une insouciance qui prolongea la durée du fléau. Saint-Cyr se hâte d’ajouter que le hideux appareil exposé par les représentans manqua son effet, et refroidit le zèle des plus ardens. C’est à la source du plus pur patriotisme que s’inspiraient nos généraux et nos soldats. Chacun se croyait récompensé si le nom de sa division, le numéro de sa demi-brigade était mentionné au Moniteur. « Barrère à la tribune! » criait-on au moment de la charge, car c’était Carrère qui lisait à la convention les bulletins de nos victoires.

Ce n’est pas pour rompre la monotonie de notre récit que nous avons essayé d’esquisser les principaux traits de cette grande figure du soldat républicain; il nous a paru utile de montrer comment l’armée refondue, transformée par de bonnes lois, par un bon recrutement, guidée par des chefs patriotes, s’épurait, se fortifiait par la guerre au lieu de s’y affaiblir ou de s’y corrompre. On ne peut pas considérer les institutions militaires comme un simple problème d’arithmétique à résoudre; pour les juger, il faut observer l’influence morale qu’elles exercent, non moins que leurs résultats matériels. Dans cet ordre d’idées, nous avons encore à rappeler que les événemens de cette époque ont donné un éclatant démenti à ceux qui accusent les Français de ne pas résister aux revers, et c’est là un point essentiel, car nul peuple ne peut espérer que la fortune des armes lui sera toujours favorable, ni que ses troupes seront commandées par des généraux infaillibles. Si les échecs de 95 furent vaillamment supportés, on peut dire que les opérations eurent peu de durée et furent concentrées sur un théâtre assez restreint; mais en 96 l’épreuve fut terrible. Partis tous deux de la rive gauche du Rhin, Jourdan et Moreau s’étaient avancés, l’un jusqu’aux confins de la Bohême, l’autre jusqu’aux montagnes du Tyrol. Le Danube et un vaste espace les séparaient; des fautes d’exécution avaient aggravé les inconvéniens de la direction excentrique donnée à leurs mouvemens, et le jeune chef qui leur était opposé, l’archiduc Charles, était trop habile capitaine pour laisser échapper une telle occasion. Il se dérobe à Moreau, tombe en masse sur Jourdan, qu’il bat à Amberg, à Wurzbourg, et ramène jusqu’au Rhin. Eh bien! après une longue marche en avant terminée par deux défaites, une plus longue marche en arrière où chaque jour voyait un combat, sans repos, sans secours, sans magasins, l’armée de Sambre et Meuse, partie des environs de Dusseldorf avec 71,000 soldats, en présentait à son retour 60,000 sous les armes; il ne manquait que les tués, les blessés et les prisonniers. Découvert par le malheur de son camarade, Moreau n’avait pu se maintenir dans sa position avancée et isolée auprès d’Augsbourg. Il illustra sa retraite