Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 68.djvu/362

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rien ne pouvait faire douter, réagissait sur M. de Fresne; ses irrésolutions et son malaise augmentaient à mesure qu’il sentait se rapprocher l’inévitable catastrophe, et le cœur lui manqua tout à fait certain jour où un miraculeux hasard le mit en tiers dans une visite de Mme de Novion à son amie. La chance était belle, unique, inespérée ; un moins aimant n’aurait pas failli à cette faveur du destin. Le marquis toutefois, manquant aux promesses qu’il s’était faites en vingt occasions, ne put surmonter le tremblement intérieur qui paralysait ses lèvres; mais, une fois rentré chez lui, honteux de sa faiblesse et croyant tout espoir à jamais perdu, il se sentit envahir par une fièvre violente qui trois mois durant le retint au lit.

En cette occurrence, l’amitié de Mlle de *** lui fit moins que jamais défaut, et il put se convaincre que la timidité dont il s’accusait avec angoisse, loin de le perdre dans l’esprit de Mme de Novion, le recommandait plutôt à elle, car il reçut à plusieurs reprises l’assurance indirecte qu’elle s’intéressait à son rétablissement. L’en remercier était chose allant de soi, et M. de Fresne remit à l’aimable messagère qui le servait de si bonne grâce un premier billet dont nous transcrirons seulement quelques lignes.

« Je vous ai ouï dire bien des fois, madame, que l’on ne saurait sans vous offenser ressentir pour vous un sentiment dont ne peuvent se défendre ceux qui vous connaissent. Si cela est, ma douleur reste sans égale, car je suis contraint de me croire au nombre de vos plus grands ennemis. La violence que je me suis faite pour ne pas encourir un sort pareil au leur m’a mis en l’état où vous savez que j’étais encore il n’y a que huit jours. La fortune ne m’a laissé la vie que parce que cette vie ne m’appartient plus, et sans doute parce qu’il m’a été dit, en votre nom, que vous ne seriez pas bien aise de m’en voir privé... »

Mme de Novion était occupée à quelque garniture de rubans, lorsque Mlle de *** entra dans sa chambre et se mit de moitié dans cette besogne; puis, prenant le temps où une femme de la maison, jusque-là présente, s’était momentanément éclipsée : — Madame, lui dit-elle, je suis chargée d’une lettre pour vous.

— De qui? demanda la belle captive.

— D’un ami qui m’a demandé de taire son nom jusqu’à ce que vous ayez lu...

Elle parlait encore que la lettre était prise et décachetée. On connaît l’exorde. Il appela sur les joues de la lectrice une rougeur imperceptible.

— En vérité, mademoiselle, dit-elle en jetant du côté de son amie un regard où se peignait quelque étonnement, la personne