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voir que vous m’en voulez convaincre, je m’en sers pour vous interdire toute cette mélancolie. Elle n’a point, je vous l’assure, autant de motifs que vous le croyez. »

L’autorisation demandée n’était point expressément dans ce peu de lignes; cependant M. de Fresne et son amie se crurent dispensés de l’attendre plus longtemps, et quelques jours après Mme de Novion, qui venait prendre Mlle de *** pour la conduire en carrosse à la promenade, parut très surprise de trouver chez elle le marquis. — Madame! s’écria-t-il aussitôt qu’elle entra, madame... et il n’en put dire davantage; mais ce silence même était plus persuasif que toute parole. Aussi bien, — lorsque sur l’ordre de la dame il se fut relevé, — ne voulut-elle pas entendre un seul mot des excuses qu’il allait lui faire.

— Monsieur, lui dit-elle, sans lui laisser le temps de parler, j’aurais fort à me plaindre d’un pareil procédé, si je prétendais vous cacher mes sentimens; mais, tels qu’ils sont, je les puis avouer, et la franchise dont je compte user vis-à-vis de vous me paraît devoir, en limitant ce que vous avez à prétendre, servir de règle à votre conduite. Peut-être ne vous attendiez-vous pas à me trouver si complètement sincère, et comptiez-vous sur les témoignages d’une colère feinte à laquelle, chez beaucoup d’autres, succéderait un prompt retour vers des sentimens tout opposés. Je n’affecterai point une irritation que je ne saurais éprouver. Je vous dirai même que votre attachement me flatte et m’est très précieux. Je ne vous dissimulerai pas que je fais grand cas de vous, et je prétends, en toute occasion où je le pourrai sans manquer à mes devoirs, vous témoigner cette estime que vous méritez. Je n’éviterai point celles où je pourrai m’assurer d’une affection qui m’est chère. Je consentirai même à recevoir vos lettres, et j’y répondrai volontiers quelquefois, pourvu qu’elles ne me parlent jamais le langage de celles que vous m’avez déjà fait parvenir... Il me semble que vous devez être satisfait de mon procédé... Souvenez-vous en revanche, continua-t-elle en lui coupant encore la parole au moment où il allait donner cours à sa reconnaissance, souvenez-vous maintenant que vous n’avez rien de plus à espérer, et que, si vous n’étiez pas assez raisonnable pour vous satisfaire du retour que je puis donner à vos sentimens pour moi, je retire d’avance toutes mes promesses...

Ce langage n’était pas nouveau il y a deux cents ans, et il n’a guère vieilli depuis lors. Qui donc ne l’entendit, venant à aimer une femme digne de quelque estime? Mais si les propos de Mme de Novion étaient ceux de beaucoup d’autres, ils avaient pour garantie une loyauté, une sincérité peu ordinaires, et sa conduite devait rester exactement conforme au programme qu’elle avait tracé.