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loir éclaircir les choses jusqu’à provoquer une rupture complète. Bien lui prit d’être sur ses gardes, car ses deux perfides ennemis n’épargnèrent rien pour le déterminer à prolonger ce fatal séjour aux Pays-Bas, qui leur laissait le champ libre et leur donnait ample loisir de faire prendre à son affaire le tour le plus dangereux.

Ne pouvant mieux faire, en présence des témoignages qui l’innocentaient du double homicide commis sous ses yeux, ils avaient suscité contre lui la veuve de ce Lacour, signalé plus haut comme le complice du chevalier et qui était tombé à côté de lui. Pourvue de tout l’argent nécessaire et guidée par eux dans le dédale de la procédure criminelle, cette femme présentait requête sur requête pour obtenir une condamnation par contumace à laquelle l’absence de l’accusé aurait pu donner une apparence d’équité, malgré les nombreux motifs qu’on avait de ne pas le croire coupable. Exposé à pareilles trames, il était temps que le marquis ouvrît les yeux et cessât de faire fond sur l’amitié du président. Sa bonne fortune le rendit accessible aux conseils qu’on lui donnait à cet égard, et sans tenir compte des lettres à la fois rassurantes et pressantes par lesquelles, à chaque ordinaire, ses deux ennemis le pressaient de rester en Hollande et de les laisser conduire ses affaires à bon port, il revint brusquement à Paris, et tomba chez le président de Novion, dans le cabinet de qui M. de Fresne trouva précisément d’Egvilly. Tous deux, affectant le plus vif intérêt pour sa sûreté, feignirent de croire sa vie en danger, et le sommèrent de disparaître au plus vite. Démêlant assez bien leurs secrètes visées, mais ne jugeant pas le moment propice pour leur rompre en visière, le marquis se laissa convaincre, du moins en apparence; toutefois, et même en supposant qu’ils l’eussent abusé jusqu’alors, un incident allait se produire, qui ne lui permettrait guère de conserver le moindre doute sur leurs intentions. En effet, ce soir-là même, au moment où, vers dix heures, il les quittait, il se heurta presque, en sortant de la chambre du président, contre une femme qui allait y entrer, et qui, à sa vue, rebroussa chemin en toute hâte. Il la suivit cependant, car il avait cru reconnaître en elle une des suivantes de Mme de Novion, et voulait avoir par cette fille des nouvelles de sa maîtresse; mais sous la voûte de l’escalier, où elle s’était réfugiée et où il l’alla relancer, il reconnut cette veuve Lacour au nom de laquelle, en ce moment même, il était poursuivi avec tant d’acharnement.

La surprise que lui causait cette découverte inattendue ne l’empêcha point de demander à voir M. de Novion, et en apprenant qu’il se tenait ce soir-là dans la chambre de sa femme, on peut croire que notre amoureux ne regretta point cette inspiration courtoise.