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tionnaire avait enlevé la fleur de nos armées, les avait toutes affaiblies, celle d’Italie surtout qu’un terrible orage menaçait, car elle allait avoir sur les bras les Autrichiens et les Russes. Et des 36,000 hommes d’élite qui s’embarquèrent à Toulon au mois de mai 1798, combien ne devaient jamais revoir la France !

Le général en chef revint le premier et saisit le pouvoir. Libre de toute entrave, entouré d’assemblées sur l’appui desquelles il peut compter sans avoir à redouter leur contrôle, Bonaparte va désormais donner pleine carrière à son génie organisateur : hommes, argent, matériel, la nation entière et ses richesses sont sous sa main ; il les façonne et en use à son gré. Il avait trouvé un grand désarroi à l’intérieur, une situation extérieure difficile, mais non sérieusement compromise : le grand péril dont la France était menacée avait été détourné ; la victoire de Zurich avait fait échouer le plan de la coalition : les Anglo-Russes venaient d’être battus en Hollande, la Suisse que nous occupions s’avançait comme un bastion entre les deux masses autrichiennes dont l’une nous pressait devant Huningue, et dont l’autre nous bloquait dans Gênes. Le premier consul voulait déboucher par les flancs de ce bastion sur les derrières des deux armées ennemies. Pour pénétrer en Souabe, l’armée du Rhin, toujours admirable, suffisait ; il ne lui fallait qu’un chef et quelques secours : elle fut pourvue et mise sous les ordres de Moreau ; mais pour descendre en Italie il fallait créer une armée nouvelle. Ce fut la première improvisation de Napoléon. Découvrant des ressources dont personne ne soupçonnait l’existence, il les groupe, les rassemble avec un art extrême, sans laisser pénétrer son dessein. La Hollande dégagée, la Vendée pacifiée, les garnisons inutiles, les dépôts de l’armée d’Egypte lui fournissent des cadres et de vieux soldats. Officier d’artillerie, il augmente l’efficacité de cette arme en confiant les attelages à des canonniers conducteurs. Pour ramener l’ordre dans l’administration des troupes, il rétablit, sous le nom d’inspecteurs aux revues, les intendans de l’ancienne monarchie, et par la création du train des équipages il donne une constitution militaire au service des transports. Ces mesures, quelques autres moins importantes, mais non moins bonnes, lui assurent un certain accroissement de forces. Il les complète en appelant tous les conscrits de la classe de l’an VII.

Nous devons nous arrêter un moment pour expliquer ce que signifiaient ces mots, nouveaux alors, de classe et de conscrit. Quatorze mois avant le 18 brumaire[1], les conseils de la république avaient adopté une loi qui, donnant un caractère normal aux dispositions prises en 93 lors du vote de la levée en masse, mais appli-

  1. 19 fructidor an VI, 5 septembre 1798.