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porte de rappeler les conditions dans lesquelles se trouva le négociateur français. L’esprit public en France, se défiant des guerres lointaines, ne voyait pas sans appréhension l’expédition de Cochinchine succéder à celle de Chine et se prolonger sans amener de résultats définitifs. Les dépenses semblaient excessives, 50 millions en 1860, 60 millions en 1861. — Ces chiffres comprenaient, il est vrai, les frais de la guerre de Chine; mais on ne s’en rendait pas exactement compte. Le gouvernement lui-même, engagé au Mexique, n’était pas absolument décidé à s’établir en Cochinchine, et n’avait pas de plan bien arrêté à cet égard. On est du moins fondé à le croire, puisqu’en 1864 il se montra longtemps disposé à restituer à l’Annam la plus grande partie du territoire cédé en 1862. Le corps expéditionnaire dont l’amiral disposait se voyait réduit à six mille hommes, et était menacé d’être encore diminué. Enfin la situation intérieure des provinces déjà conquises sembla exiger qu’on mit un terme aux hostilités. Le gouvernement annamite, convaincu après une dure expérience que ses armées régulières ne sauraient tenir devant les troupes européennes, recourut à d’autres moyens pour se débarrasser des envahisseurs. Le peuple des campagnes, maintenu jusqu’alors dans une sujétion rigoureuse, fut appelé en masse aux armes. Les chefs de cantons et de communes reçurent l’ordre de former, chacun sur son territoire, des centres partiels de résistance. La fréquence des révolutions, la violence de certaines passions, — le jeu par exemple, — prouvent que la population cochinchinoise, loin d’être lente et apathique, s’exalte au contraire facilement. Débarrassées par son gouvernement même de l’obéissance aux lois, mais peu soucieuses de se joindre aux troupes régulières, des bandes armées, désertant les travaux des champs, se livrèrent volontiers au brigandage et à la piraterie, auxquels les indigènes sont déjà naturellement enclins. Si cet état de choses se fût prolongé, la France, au lieu d’un territoire en plein rapport et d’un peuple de travailleurs, n’eût plus trouvé qu’un pays ruiné, dévasté par des troupes de pillards, et la substitution de son autorité à celle qui existait précédemment eût présenté d’autant plus de difficultés que son installation eût été moins rapide, et la conquête plus étendue. Telles furent les raisons qui décidèrent l’amiral Bonard à accéder aux propositions annamites et à se contenter pour la France des trois provinces de l’est, Bienhoa, Saigon et Mytho, sauf à attendre, pour parfaire la conquête, des conditions plus favorables.