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namite régit encore les rapports des indigènes entre eux, à moins qu’ils ne préfèrent se soumettre aux règles de la législation française appliquées par le tribunal siégeant à Saigon. Les contestations entre Annamites demeurent soumises à des juges annamites. L’esclavage seul a dû disparaître d’un sol devenu français; mais il était si peu en usage, et la condition de l’esclave se rapprochait tellement de celle des serviteurs ordinaires que la suppression en a passé inaperçue. La religion nationale, quelque peu d’attachement que le peuple lui porte, n’en est pas moins soigneusement respectée. Si le christianisme est prêché et pratiqué à côté d’elle, la persuasion est le seul moyen employé pour attirer les conversions, et les ecclésiastiques bornent leur ministère à un enseignement que nul indigène n’est forcé de suivre. Les pénalités souvent rigoureuses qu’édictaient les lois annamites ont disparu; le bâton, dont l’ancienne administration se montrait prodigue, les supplices qui accompagnaient parfois la peine de mort, ne s’appliquent plus. Là ne s’est pas borné ce respect de la personne humaine que les Européens importent avec eux en Asie : les hôpitaux et les infirmeries installés à Saigon et sur d’autres points reçoivent les indigènes comme les Européens; l’instruction, si fort en honneur chez ce peuple fidèle imitateur des Chinois, est l’objet de soins vigilans. Des écoles confiées à des maîtres indigènes, des collèges que dirigent les missionnaires, donnent aux enfans les divers degrés d’instruction et d’éducation. Aux uns on apprend la langue annamite écrite avec l’alphabet de vingt-quatre lettres; aux autres on enseigne la langue chinoise, celle des lettrés, en usage dans les actes officiels de l’ancien gouvernement. Quelques-uns même, qui se familiarisent avec la langue française, sont ensuite admis à venir perfectionner leurs études en France. Un journal mensuel rédigé en langue annamite s’imprime à Saigon depuis 1865, et se répand dans les villages. Il paraît que les indigènes n’ont pas été sans prendre déjà du goût à cette nouveauté. L’agriculture, que favorisait le gouvernement de Hué, n’est pas négligée. Une exposition locale a permis récemment d’encourager par des récompenses les tentatives sérieuses de perfectionnement. Ce sont autant de bienfaits de la conquête dignes sans doute d’être appréciés.

Toutefois un peuple ne se préoccupe pas seulement des lois et des institutions qu’on lui donne. Ses mœurs, ses coutumes, ses habitudes, qui constituent sa vie journalière et son originalité, et auxquelles il s’attache d’autant plus fortement qu’il prend moins de part au gouvernement et aux affaires publiques, méritent souvent à ses yeux des égards et un respect dont les étrangers s’affran-