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nale. La discussion qui précéda le vote fut curieuse à plus d’un titre; MM. Lachèze et Mauguin préféraient à l’emploi de l’électricité pour la correspondance un nouveau système de télégraphes aériens récemment inventé par M. Ennemond de Gonon. Arago s’escrima de son mieux et ne parvint pas à convaincre M. Berryer, qui déclara n’avoir qu’une foi très modérée dans l’avenir de la télégraphie électrique. Malgré l’évidence des faits et l’expérience ininterrompue qui durait avec succès depuis plus d’une année, il se trouva des récalcitrans dans la chambre des députés, et à voix protestèrent contre l’adoption de la loi. Dès lors néanmoins le mouvement était acquis, et rien ne devait l’arrêter.

Les députés, pendant la discussion du projet de loi, avaient été surtout préoccupés de la facilité avec laquelle on pouvait rompre les fils conjonctifs. En effet, fixés, comme chacun a pu le remarquer, à des poteaux de bois dont ils sont isolés par un godet en porcelaine, ils offraient à la malveillance une tentation permanente. Rien n’était plus aisé que de les couper; on redoutait les émeutiers qui, en temps de troubles, l’avaient belle pour intercepter les communications télégraphiques d’une ville à une autre. Tout en discutant les mérites de l’invention nouvelle, on parlait des factions, et on les montrait volontiers toutes prêtes à déraciner les poteaux, à détruire les fils, bouleverser les piles, casser les cadrans et pendre les employés. De tous ces tristes et violons pronostics, aucun ne s’est réalisé, et la télégraphie électrique a pu fonctionner en toute sécurité[1].

Cependant les événemens politiques s’étaient singulièrement modifiés en France à la suite de la révolution de février 1848. Maintenir au gouvernement seul le droit de se servir du télégraphe paraissait bien excessif avec des institutions républicaines, et l’on commença bientôt à parler sérieusement de la télégraphie privée. L’idée n’était point nouvelle, et le premier qui tenta de l’appliquer fut l’inventeur même de la télégraphie aérienne. Au mois de nivôse de l’an VII, Claude Chappe présenta au ministre un mémoire pour demander que les négocians fussent admis, moyennant rétribution, à jouir de la faculté d’expédier leurs dépêches par les télégraphes. Dès la première année du consulat, il reprit cette idée en la modifiant; il proposa que le télégraphe servît aux correspondances des particuliers entre eux, fournît des renseignemens en un journal créé spécialement pour donner des nouvelles de date récente, et devînt entre Paris et la province l’intermédiaire de la loterie. De ces trois projets, le dernier était d’une moralité douteuse, ce fut le seul

  1. La proportion des accidens dus à la malveillance que subissent les lignes télégraphiques est environ de 1 pour 1,000.