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Mais, comme l’a si bien dit M. Thiers dans ce beau livre qu’on ne saurait trop relire, cette armée manquait de calme et d’union; l’humeur de tous les chefs ne répondait pas à l’ardeur des soldats ; généraux, officiers se rencontraient pour la première fois, ou se retrouvaient après avoir été longtemps séparés, moins encore par les distances que par les sentimens, les habitudes contractées dans des pays très divers, dans des guerres très différentes. La conduite que tel ou tel avait tenue pendant les derniers événemens était sévèrement jugée; on s’observait, on se soupçonnait. Cette absence d’harmonie, ce défaut d’entente, se reconnaissent à tous les momens de ces courtes opérations, et marquent d’un cachet particulier la campagne de 1815. Nous n’entrerons point dans l’inépuisable controverse que ce lugubre épisode de notre histoire a soulevée, et qui ne paraît pas épuisée par cinquante ans de discussions, nous le résumerons en peu de mots. Jamais capitaine n’avait frappé plus juste au défaut de la cuirasse de son ennemi, jamais chefs et soldats n’avaient été plus vaillans; jamais désastre ne fut plus complet. La dernière armée de Napoléon succombe à Waterloo ; avec elle s’abîmaient les institutions militaires de la France. Aux survivans de tant de batailles, aux glorieux « brigands de la Loire, » il ne restait à donner qu’un admirable exemple de patriotique résignation. Ils surent épargner à leur pays les maux qui avaient toujours accompagné le licenciement des bandes nombreuses, pratiquant ainsi à l’heure dernière les vertus civiques qui inspiraient les armées issues de la révolution, et que les splendeurs comme les calamités de l’empire avaient un moment laissées dans l’ombre.


IV.

La France était désarmée, forcée de subir la loi du vainqueur. Cette fois nos institutions militaires n’étaient pas seulement ébranlées, dénaturées, elles étaient détruites. Il ne s’agissait plus d’une transformation à conduire, c’était une création complète à entreprendre au milieu des circonstances les plus défavorables, œuvre plus difficile encore que celle qui fut accomplie en Prusse de 1808 à 1813 par Stein et Sharnhorst; car si, comme les Prussiens, nous avions à subir l’humiliation de l’occupation étrangère et le poids des contributions de guerre, et si, comme eux, nous ressentions vivement l’amour de la patrie, ce noble sentiment revêtait dans les cœurs français des formes très diverses, n’étouffait pas les passions ennemies, n’effaçait pas les différences d’opinion, se traduisait chez quelques-uns par le désir de détruire tous les vestiges de ce que l’on appelait alors l’esprit révolutionnaire, et chez un plus grand nombre par la haine du gouvernement nouveau. Plusieurs consti-