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classe des gérans responsables? Que dire de la citation directe à un jour franc? Un sentiment très juste et qui lui fait honneur a porté le gouvernement à retrancher l’emprisonnement des pénalités auxquelles la presse était soumise; mais les amendes peuvent être élevées à de grosses sommes, et on laisse subsister la suspension. Or, lorsqu’on songe aux vagues définitions sous lesquelles sont déterminés les délits de presse, on trouve bien précaires pour la liberté des opinions les garanties présentées par la juridiction correctionnelle, et on ne peut se rappeler sans un retour amer ces grandes doctrines que MM. de Serre et Royer-Collard semblaient avoir fixées dans la conscience de la France, suivant lesquelles les délits de presse, n’étant presque toujours au fond que des interprétations d’opinions, ne doivent point être abandonnés à la magistrature, mais doivent être appréciés par l’organe juridique naturel de l’opinion générale, le jury.

L’esprit public trouve donc peu d’appui encore dans les mesures par lesquelles les nouveautés annoncées sont inaugurées. Ce n’est point la situation extérieure qui peut lui rendre un ressort salutaire. Les classes intelligentes et actives de la France, celles qui sont à la tête du mouvement économique du pays, ont grand’peine encore à se rendre compte de l’état de l’Europe au milieu duquel doit désormais s’exercer notre action politique. Aujourd’hui même s’est entamé au corps législatif un débat d’une haute portée, qui contribuera sans doute à éclaircir les idées de la France sur les conditions et les perspectives de sa situation extérieure. C’est M. Thiers qui a pris l’initiative de cette haute enquête, et avec un tel guide on sera sûrement conduit au point précis des difficultés. Il y a sans doute un enseignement général à tirer de l’expérience de l’année dernière : jamais les dangers d’une politique étrangère, à combinaisons mystérieuses et dérobées à l’inspiration et au contrôle de l’opinion publique, n’ont été démontrés d’une façon plus saisissante. Les adulations trop asiatiques que notre éloquence officielle a pris la pitoyable habitude d’exhaler à l’adresse du pouvoir font un contraste pénible avec les résultats réels d’un tel fait. Le sentiment général est que les déceptions subies l’an dernier par la politique française eussent été prévenues, si l’opinion publique de la France eût été en mesure de faire mieux comprendre au pouvoir la cause de ses appréhensions et la nature de ses vœux. À ce point de vue, on peut dire d’avance que le discours de M. Thiers ne sera que la confirmation, malheureusement trop accablante pour le pays, de la harangue qu’un patriotisme profondément ému lui inspirait il y a un an. La France jugera une fois de plus s’il ne lui est pas aussi utile que glorieux de posséder dans son assemblée représentative un homme d’état aussi clairvoyant, un orateur aussi lumineux, un patriote aussi passionné. — Si les jugemens que M. Thiers devra porter sur le passé sont sévères, nous sommes convaincus que les avis qu’il présentera au pays sur sa conduite future seront à la fois virils et prudens. Dans les obscurités dont l’Europe est couverte, le droit