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mieux : lorsqu’une œuvre de ce genre n’est pas tout à fait exquise de grâce, de distinction ou de passion, il y a bien des chances pour qu’elle soit tout à fait médiocre, et plus elle laissera voir de prétentions, plus elle paraîtra médiocre. C’est peut-être l’histoire de cette Passion dans le grand monde, œuvre posthume d’une femme qui a été un personnage social, et qui s’est donné le luxe, étant une grande dame, de vouloir être un écrivain, de laisser dans ses papiers un roman qu’elle pouvait certes se permettre de composer dans ses loisirs, qu’elle pouvait même lire sans danger à ses amis tant qu’elle vivait, mais qu’il était si facile de ne pas publier après sa mort.

Que s’est-on proposé en mettant au jour cette histoire d’autrefois? Sans doute on a voulu prolonger en quelque sorte la renommée de l’auteur, la lier à une œuvre de l’esprit plus durable que les souvenirs de tous ceux qui s’en vont; on a voulu montrer que la comtesse de Boigne, elle aussi, comme bien d’autres de ses émules de la vie sociale, était capable d’écrire, de faire un roman. Il est à craindre que le but n’ait point été absolument atteint, et, pour tout dire, entre la famille qui a exprimé quelques plaintes de cette publication et la personne de mérite qui a pensé exécuter pieusement un legs de l’amitié en mettant au jour une œuvre restée longtemps inédite, il est possible que ce fût la famille qui eût raison. Cela ne perdra point assurément Mme de Boigne de réputation; mais cela n’en fera pas non plus une héritière directe de Mme de La Fayette, ni même une sœur littéraire de Mme de Duras. Je n’ai nullement la prétention de tracer un portrait de la comtesse de Boigne, de cette personne d’élite qui était déjà une jeune fille au temps de la révolution et qui ne s’est éteinte que l’année dernière, restant jusqu’à la fin une des images survivantes de la société française d’autrefois. Elle a été de nos jours une des quatre ou cinq femmes qui, à des momens divers, se sont trouvées mêlées à tout, à la vie mondaine par leur position, à la politique et aux lettres par leurs relations, et qui partout ont exercé une véritable influence. Elle avait sur Mme Swetchine l’avantage d’être Française, sur Mme Récamier la supériorité de la naissance. Elle était fille du marquis d’Osmond, qui avait été militaire et ambassadeur avant la révolution et qui depuis représenta un moment la France à Londres sous la restauration. Ce fut dans l’émigration que, par dévouement pour sa famille proscrite et dépouillée, elle se maria avec celui dont elle devait porter le nom, le général de Boigne, qui venait de servir en soldat aventurier la compagnie des Indes. Elle avait à cette époque dix-huit ans, et sa biographe, Mme Lenormant, la peint certes sous des traits séduisans. « Petite, mais très bien prise dans sa taille, elle était blonde, et sa soyeuse chevelure, lorsqu’elle en déroulait les flots, lui descendait jusqu’aux pieds. L’éclat et la blancheur de son teint étaient éblouissans; enfin une grâce hautaine complétait l’ensemble aristocratique de sa délicate personne... » Voilà celle qui devenait la comtesse de Boigne.