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Si les avocats des corps d’élite ne peuvent pas s’appuyer de l’autorité de Saint-Cyr, ceux qui voudraient édifier un système de réserve sur une base de régimens immobiles et recrutés dans des zones fixes ne peuvent pas non plus le ranger sous leur bannière. L’organisation de l’infanterie en légions départementales donnait un moyen simple et rapide de grouper les élémens militaires disséminés par le licenciement de 1815; elle facilitait la reconstruction de l’armée. C’était une mesure de circonstance que le maréchal n’avait pas voulu rendre définitive; quand, après sa sortie du ministère, on put revenir à la forme régimentaire, il ne cacha pas son approbation. Nous n’avons pas besoin d’insister sur les inconvéniens du caractère sédentaire qu’un séjour illimité dans les mêmes garnisons imprimerait aux corps de notre armée, et sur les difficultés que rencontrerait l’exécution des divers services imposés à nos troupes. Appliqué à la composition du personnel, ce système n’est pas moins défectueux. Mis en pratique pendant quatre ou cinq années de crise, il avait laissé des traces fâcheuses; ceux qui ont servi il y a quelque temps doivent se rappeler les petites et tenaces passions de clocher qui divisaient certains corps d’officiers, et dont l’origine remontait à la courte existence des légions. Dans l’histoire de notre armée, les partisans du recrutement localisé ne comptent pas un précédent qui leur soit vraiment favorable. Les membres du conseil supérieur de la guerre qui avaient préparé sous la restauration un projet de division du royaume en arrondissemens de recrutement se sont toujours défendus d’avoir rien voulu faire de pareil[1]. Les noms que les régimens portaient sous l’ancienne monarchie ne leur imposaient pas l’obligation de prendre leurs soldats dans certaines provinces, et la république n’eut une bonne armée qu’après avoir fondu tous les bataillons départementaux en demi-brigades nationales. Qu’on nous permette de le rappeler, ce généreux et insaisissable peuple de France échappe aux classifications absolues qui sont si fort à la mode de nos jours; la race française, type incomparable de la variété dans l’unité, est le produit de la fusion de plusieurs races; là est le secret de sa force et l’explication de quelques-unes de ses faiblesses. Cette fusion ne s’est pas faite d’une façon uniforme; sur tel point, l’analyse constatera la prépondérance d’un élément qui fera défaut plus loin; les climats sont aussi divers que la configuration du sol. De là des aptitudes physiques ou morales qui ne sont pas partout les mêmes, des genres de courage différens. C’est l’amalgame de ces aptitudes, de ces courages confondus dans nos divers corps de troupe,

  1. Voyez le discours du général d’Ambrugeac à la chambre des pairs, séance du 30 janvier 1832.