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sées par les courans océaniques, emportant dans leur gangue succulente et féconde d’innombrables myriades d’œufs, de larves et d’animalcules qui, dans ce foyer de fermentation et de vie inépuisable naissent, vivent et se multiplient sans limite[1].

Il est temps de conclure. Les algues servent de base à la série végétale. Situées aux confins des deux règnes organiques, elles sont la manifestation de phénomènes variables et comme l’essai d’une vie encore inexpérimentée. Ce qu’il y a de remarquable, c’est que les débuts de la vie sont partout analogues. De même que la série animale, la série végétale commence par des métamorphoses. L’algue, qui vit à l’état de plante, naît et s’agite comme un animalcule : aussi le caractère essentiel des végétaux de cette famille est-il l’indécision, c’est-à-dire l’inconstance et la variabilité des formes. Il en est qui semblent vraiment se jouer de toutes les classifications. Couleurs, dimensions, modes de ramification, tout varie, tout échappe aux observateurs, à tel point que l’un d’eux, Bory de Saint-Vincent, eut un jour le désir, de reprendre sérieusement l’ancienne idée d’un règne intermédiaire dans lequel seraient classés tous les êtres mal définis et de nature équivoque. De son côté, Agardh se plaignait amèrement de l’état chaotique de l’algologie, tandis que d’autres cryptogamistes croyaient pouvoir échapper à l’obsession de tant d’incertitudes en inventant des termes étranges et en nous parlant d’animalcules végétalisés par la lumière.

De l’histoire de l’algue découle, on le comprend, un enseignement profond. On sait après quels tâtonnemens elle arrive à suivre la voie que lui assigne la nature, et combien ces hésitations remarquables sont favorables à l’hypothèse de la communauté des origines. Or se peut-il qu’on trouve dans le domaine entier de l’histoire naturelle un fait plus profondément philosophique que cette source commune d’où émanent les trois grandes formules de l’être : le minéral, le végétal, l’animal ? La conformité des règnes à leur point de départ, l’on pourrait presque dire leur identité, s’étend à l’ensemble de la création. Un puissant lien d’unité rattache les uns aux autres tous les groupes divers du royaume de vie. A défaut de la réalité concrète, la théorie du moins les rend solidaires. Un large souffle de fraternité emplit l’espace de la terre aux étoiles, et c’est avec une satisfaction profonde que le philosophe unitaire peut, au-dessus des morcellemens de l’analyse qui divise et dessèche, rétablir la grande synthèse qui rapproche et vivifie.


ED. GRIMARD.

  1. C’est de là que sortent en quantités incalculables ces petits êtres gélatineux qui, a certaines heures de nuit, en pleine mer, rendent lumineuses des surfaces immenses et argentent les vagues de lueurs phosphorescentes.