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singulière pusillanimité pour découvrir dans ces pages loyales le moindre élément d’esprit factieux. L’aiguillon des plus vives paroles chez l’éloquent interprète de La Fontaine, c’est l’aiguillon qui stimulé, jamais celui qui blesse.

Observateur pénétrant comme les moralistes chrétiens du XVIIe siècle, habile comme les polémistes du XVIIIe à manier l’ironie, M. Saint-Marc Girardin s’est toujours plu à mettre au service du bon sens et de la vérité des armes consacrées depuis longtemps à des causes très différentes. Ajoutez à cela des lectures considérables, une richesse merveilleuse de rapprochemens, de comparaisons, de contrastes, une fertilité de vues, une abondance de traits qui n’embarrassent jamais les allures naturelles du style, vous aurez le secret du charme que l’auteur sait répandre sur les matières les plus connues. En relisant les Fables de La Fontaine avec M. Saint-Marc Girardin, on fait véritablement un voyage de découvertes. S’il y a chez un écrivain oublié une pensée heureuse, une page bien venue qui se rapporte à son sujet, il la détache et la met en lumière. Ce n’est qu’un mot souvent, ce sont deux ou trois vers noyés dans le fatras ; les voilà sauvés pour toujours. En somme l’histoire de la fable, n’est-ce pas l’histoire de l’humanité ? Depuis les auteurs des apologues orientaux jusqu’aux derniers fabulistes de notre société moderne, de Vichnou-Sarma et Bidpaï à Lessing et Gellert, que d’épisodes curieux dans cette histoire ! Je recommande entre tous l’épisode de Gellert. Cet écrivain si doux et si fin, si évangélique et si vif, n’est guère connu en Allemagne que des lettrés de profession ; la France l’ignore absolument. Gellert était digne d’inspirer de cordiales sympathies à M. Saint-Marc Girardin, et cette récompense tardive accordée chez nous à l’un des plus aimables esprits du XVIIIe siècle ne profite pas seulement à celui qui la reçoit ; le commentateur de La Fontaine y a trouvé quelques-unes de ses meilleures inspirations ; mais c’est La Fontaine lui-même dont la figure domine cette assemblée de conteurs et de moralistes. Rien qui sente l’admiration de commande, c’est une étude sincère et une discussion libre. Il y a bien des lacunes dans la morale de cette comédie aux cent actes divers ; M. Saint-Marc Girardin, sans rigueur intempestive, les indique d’une main légère et sûre. J’oublierais enfin un des traits caractéristiques de ce livre charmant, si je ne disais pas qu’il y est question de nous-mêmes autant que du XVIIe siècle. Société de nos jours, si malade, si menacée, dit-on, quoique toujours pleine de sève et de vie, vous ferez bien d’écouter ces histoires : de le fabula narratur. Quel révolutionnaire que votre La Fontaine ! écrivait un jour au maître un auditeur surpris. Une des pages les plus curieuses de l’ouvrage est celle où M. Girardin, répondant à cette exclamation, montre en effet combien le fabuliste était révolutionnaire, et quelle différence il y avait entre les révolutionnaires du XVIIe siècle et ceux du XIXe. « il y a, dit-il excellemment, une révolution qui n’a point encore été tentée et qui mériterait de l’être, une révolution qui serait la conversion ou l’amélioration de chacun de nous. Je suis disposé à croire