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qu’elle y apporte la moindre prétention : c’est avec la franche gaîté de la, jeunesse qu’elle nous raconte la chute de ses œuvres et la déconvenue de ses interprètes. Son roman offre les mêmes contrastes, car il y a un roman dans ces lettres. Aimée de son cousin qui la courtise en mousquetaire, elle l’aime et s’en défie, elle est tendre et sévère, imprudente et circonspecte. Il y a des instans où l’on tremble pour elle ; rassurez-vous, elle est fidèle sans jactance comme sans respect humain aux pratiques religieuses de son enfance, et c’est précisément cette fidélité qui la sauve. Sommes-nous bien au XVIIIe siècle ? On n’en saurait douter quand on voit l’insouciance de la mère de Laurette occupée de ses coquetteries, et de ses plaisirs ; Laurette est seule, à vrai dire, seule avec ses instincts, sa curiosité, son innocence et sa sagesse précoce. À qui fera l’histoire de la famille dans la société du XVIIIe siècle, Laurette de Malboissière fournira de curieuses indications. Son premier roman terminé, car elle avait dû éconduire ce soupirant écervelé dont les empressemens ressemblaient à des offenses, elle fut aimée d’un jeune homme digne en tout de ce noble cœur, et, la mort lui ayant pris son fiancé avant le jour qui devait les unir, elle ne tarda guère à le suivre dans la tombe.

En publiant ces lettres naïves et touchantes, Mme de Lagrange semble craindre qu’une apparition si originale, je veux dire si peu conforme à l’idée qu’on se fait souvent du XVIIIe siècle, n’excite quelque défiance dans l’esprit de la critique. Les lettres manuscrites de Laurette sont entre ses mains ; elle les met à la disposition des personnes qui voudront en prendre connaissance. Je ferai sans doute plaisir à la patronne de Mlle de Malboissière en lui signalant un témoignage qui paraît avoir échappé à ses recherches : comment garder un doute sur la correspondance de Laurette quand on en voit les traits principaux résumés si fidèlement dans cette note de Grimm à la date du mois de décembre 1766 : « Nous avons fait depuis peu une perte qui mérite d’être remarquée. Mlle Randon de Malboissière vient de mourir à la fleur de son âge. Elle avait environ dix-huit ou dix-neuf ans. M. de Bucklai, officier dans un de nos régimens irlandais, arriva quelques jours avant sa mort dans le dessein de l’épouser, mais dans le fait pour lui rendre les derniers honneurs. Le jour marqué pour la célébration du mariage fut celui de l’enterrement. Cette jeune personne avait été destinée en mariage au jeune du Tartre, fils d’un célèbre notaire de Paris et sujet de distinction pour son âge. Ce jeune homme, qui donnait les ; plus grandes espérances, fut enlevé l’année dernière par une maladie courte et vive… On dit que la tendresse de Mlle de Malboissière pour ce jeune homme et la douleur qu’elle ressentit de sa perte n’ont pas peu contribué à abréger ses jours. Elle était déjà célèbre à Paris par ses connaissances ; elle entendait et possédait parfaitement sept langues, le grec, le latin, l’italien, l’espagnol, le français, l’allemand-et l’anglais ; elle parlait les langues vivantes dans la perfection. On dit ses parens inconsolables de sa perte… »

Tous ceux qui l’avaient connue ressentirent la même douleur. Quelques