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le lait d’une forte nature, et ses héros, patres, toucheurs de bœufs, gardiens de chevaux sauvages, prennent entre ses mains des proportions épiques. Mireille, Vincent, Ourias, Alari, ce sont là désormais des types reconnaissables ; le chantre de la campagne artésienne les a marqués de son empreinte.

C’est encore une œuvre d’art, une œuvre combinée avec soin et largement exécutée, que M. Mistral vient de publier sous le titre, de Calendal[1]. La vieille poésie provençale a produit de longs récits à la fois épiques et romanesques où l’image du temps est encadrée en de radieux paysages ; qu’on se rappelle seulement cette histoire de guerre et d’amour, Aucassin et Nicolette, si bien remise en lumière par Fauriel. Il y a manifestement un souvenir de ces -récits d’autrefois dans le Calendal de M. Mistral. C’est aussi une chanson de gestes où l’intérêt du roman est mêlé aux inspirations de la poésie. La scène se passe au XVIIIe siècle, quelques années avant la révolution française, et toutefois ne soyez pas surpris de voir apparaître çà et là, derrière les personnages modernes, les héroïques figures du moyen âge. Confronter d’une part le moyen âge et le XVIIIe siècle, de l’autre la corruption des hautes classes et la saine vigueur du peuple de Provence, telle est la double inspiration de l’auteur. Le Provence a vu, il y a cent ans, de singuliers types de bandits, gentilshommes ou bourgeois, qui détroussaient les passans, pillaient les campagnes, faisaient de véritables expéditions contre les gens du roi, et terrifiaient si bien la contrée que nul n’osait indiquer les repaires où ils allaient célébrer leurs orgies. Ces repaires étaient quelquefois de vieux châteaux-forts dans les Alpines, nids de vautours cachés au milieu des rocs. Si plus d’un, parmi ces forcenés, a fini sous la main du bourreau, combien en est-il qui ont soutenu cette guerre pendant bien des années ! Ainsi a vécu longtemps, pour n’en citer qu’un seul, le fameux Gaspard de Besse, demi-brigand, demi-chevalier, roué à Aix en 1776. « Mettons en scène un de ces étranges personnages, s’est dit l’auteur de Calendal ; donnons-lui pour femme l’héritière d’une vieille famille de princes qui a épousé le bandit, croyant épouser un gentilhomme, puis faisons apparaître le peuple de Provence représenté par un de ses plus généreux enfans, un marin de la côte, une âme simple et ardente qui sauvera la femme et triomphera du bandit. Je réunirai ainsi dans mon tableau les trois aspects de la Provence à la veille de la révolution : dans le fond, les nobles légendes du passé ; au premier plan, la corruption sociale des mauvais jours, devant nous enfin l’avenir meilleur, l’avenir et la réparation personnifiés dans le fils des classes laborieuses, gardiennes de la tradition du pays. »

La combinaison, quoique subtile, ne manque pas d’intérêt, l’idée morale qui l’anime en rehausse encore la valeur. Calendal est un pêcheur des côtes

  1. Nous citons le titre français, le voici en langue provençale : Calendal, pouèmo nouvèu, 1 vol. in-8o 1867.