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des institutions militaires est la nécessité la plus positive et la plus pressante que les événemens d’Allemagne ont créée pour nous. Le patriotisme le moins attentif ne saurait élever un doute sur cette conséquence de l’unité militaire et politique de l’Allemagne. Il est incontestable d’un autre côté que le système des institutions militaires touche aux racines mêmes de la constitution sociale et politique des peuples. Il n’est donc pas possible de faire réussir un plan d’organisme de guerre dans un pays, si l’on ne s’empare pas d’abord de l’âme de ce pays pour y faire pénétrer par une sorte de consentement spontané l’esprit de l’institution devenue nécessaire. Il est malheureusement certain que l’état de paralysie où la vie publique est tombée en France par la longue éclipse de la liberté a mis le gouvernement dans l’impuissance d’émouvoir l’âme du pays et d’obtenir une prompte et unanime adhésion nationale à son projet de réorganisation militaire. Le projet gouvernemental a été préparé avec des procédés formalistes antipathiques à l’enthousiasme. On l’a vu sortir avec la sévérité et l’aridité d’un document officiel des délibérations d’un comité dont le public a ignoré les discussions contradictoires ; puis, repassant par une autre élaboration administrative également dérobée à la connaissance du public, il s’est révélé avec ses dispositions définitives. Est-il surprenant que le public ait fait un accueil défiant et alarmé à cette rigoureuse et froide formule qui ne lui était expliquée par aucune controverse animée et vivante ? Quand on doit si profondément remuer les institutions sociales d’un peuple, on ne peut employer avec succès le rigide procédé des édits administratifs ; il faut devancer les innovations politiques de cette importance par une sorte de prédication et d’apostolat qui éclairent la conscience nationale, l’émeuvent et la convertissent aux grandes résolutions proposées. C’est cette œuvre d’apostolat qui s’accomplit chez les peuples libres au moyen des réunions publiques, par l’initiative des hommes d’état et des orateurs. Avant que soient réglées dans la chambre des communes les dispositions d’un bill de réforme parlementaire, dans combien de meetings la question n’a-t-elle point été agitée, par combien d’orateurs n’a-t-elle point été exposée et élucidée ! La discussion publique préalable a fait défaut au projet de loi militaire ; les hommes spéciaux, les généraux et les officiers, qui sont les autorités les plus compétentes en une telle matière, n’étaient point encouragés par nos lois et par nos mœurs à expliquer devant le pays les conditions de l’organisation de notre armée. On a laissé trop longtemps le pays en face d’un texte morne destiné à résoudre un problème dont les conditions lui sont inconnues.

La véritable enquête sur la question militaire ne commencera donc qu’avec la discussion du projet de loi au corps législatif ; cependant un livre remarquable, publié il y a deux jours, nous apporte des informations dont l’étendue, la sûreté, l’intérêt, ne pourront point être dépassés par les révélations et les enseignemens du débat parlementaire. Le premier mérite de ce livre, l’Armée française en 1867, est certes d’être une œuvre inspirée