Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 68.djvu/82

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de notre monde soient retournés du jour au lendemain ; encore faut-il que le chanoine ait connaissance de l’honneur que vous lui avez fait. Moi, je n’ai pas pouvoir pour vous refuser la main de ma nièce.

— Eh ! qu’importe qu’elle me soit refusée par vous ou par son père ?

— Il importe, docteur, que tout message aille à son adresse. Je sais ce que je fais, et je prends vos intérêts plus à cœur que vous ne le croyez peut-être. Vous êtes un homme en vue, donc vous avez des ennemis : il s’agit de ne pas leur donner à mordre.

— Comment ?

— Pour le quart d’heure, tout Strasbourg vous marie avec Adda ; il est clair (soit dit sans reproche) que vous lui avez fait un doigt de cour. Demain la girouette va tourner ; on saura que vous vous éloignez de la maison canoniale. Après-demain ou dans trois mois, on vous verra courtiser Louise, Thérèse ou Dorothée, puis commander un habit neuf pour la conduire à l’autel…

— Non !

— Si ! car vous avez le mariage en tête, et lorsqu’un homme en est à ce point, il épouserait la famine, la peste ou la guerre plutôt que de rester garçon. Vous êtes au bord du fossé ; personne ne peut dire où ni quand vous ferez le saut, mais vous sauterez, docteur, et, si vous reculez, vous n’en sauterez que mieux : c’est un bonheur inévitable !

— Supposons.

— Eh bien ! je veux que ce jour-là, si vos ennemis vous accusent d’avoir tourné casaque à Mlle Kolb après l’avoir recherchée, un homme autorisé, comme mon frère le chanoine, ait le droit de leur donner un démenti formel. Y êtes-vous ?

— La précaution est bien inutile, mais elle part d’un bon sentiment : je livre tout entre vos mains et je vous remercie. Adieu, cher monsieur Kolb ; qui sait quand nous nous reverrons ?

— Eh ! quand vous voudrez ! ma nièce n’est pas en amadou, et je vous garantis qu’elle ne prendrait pas feu à votre approche.

Ils se quittèrent sur ce mot, et le docteur rentra chez lui cacher sa honte. Sa maison lui parut vide comme un Sahara depuis que l’espérance ne la meublait plus. Il était plongé depuis une heure ou deux dans des réflexions lugubres, lorsqu’un grand corps tout de noir habillé se dressa devant lui et lui tendit les bras. C’était le chanoine Kolb, homme ordinaire, mais excellent, qui offrit une consolation en trois points à l’inconsolable amoureux de sa fille. « Adda ne peut pas être votre femme, mais elle est et sera toujours votre sœur en Dieu. Certaines considérations dignes de tous les