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on lui présente un, deux, trois fiancés, elle les refuse. On insiste, elle signifie en bonne forme qu’elle veut rester fille ou s’appeler Mme Marchal. Je saisis l’occasion, je reviens à la charge : y a-t-il une loi qui défende à un honnête garçon de réitérer une honnête demande ? Au théâtre, dans les romans, dans la vie, on ne voit que des passions traversées par le mauvais vouloir des familles, et qui en triomphent à la fin. Et moi, sur un simple refus, je me tiendrais la chose pour dite ; je prendrais ma canne et mon chapeau, et j’irais tout bourgeoisement me faire refuser ailleurs ? Défends— toi donc, grand lâche, et prouve à ces entêtés que tu es un homme ! 2

Sur cette base, il dressa en moins de rien tout un plan de campagne. Il connaissait les habitudes de Mue Kolb, il savait où la rencontrer chaque jour, à toute heure ; les amis de la famille étaient les siens, la maison même du chanoine lui restait forcément ouverte : il était le médecin de tout ce monde-là. Un scrupule le retint : il craignit de s’être condamné lui— même en acceptant l’arrêt sans protester. Le tanneur et le chanoine venaient de recevoir en double sa démission de prétendant ; n’était-il pas trop tard pour la reprendre ? Le pauvre homme comprit que sa prompte résignation avait gâté les affaires, il se sentit comme lié par son propre assentiment ; il se voulut.mal de mort de ne s’être point insurgé en temps utile. Mécontent de lui-même, il essaya de rasséréner son âme en évoquant le souvenir d’Adda ; mais, par un singulier effet de réaction morale, Adda lui apparut moins jolie et moins séduisante que la veille. C’est que la veille encore il la voyait à travers un prisme de joie et d’espérance, et qu’aujourd’hui l’image de cette aimable fille était encadrée de rebuffades sans nombre.

J’abuserais de votre patience, si je vous faisais suivre les oscillations d’un esprit déconcerté, inquiet, hors des gonds, qui ballotte deçà, delà, sans retrouver son assiette. L’agitation du professeur fut donnée en spectacle à tout Strasbourg pendant plusieurs semaines, et Dieu sait si les commentaires allaient bon train I Il faut dire, à la louange des frères Kolb, que rien de vrai ne transpira ; ils gardèrent le secret et laissèrent jaser le monde. Le monde, que sut-il ? Que M. Marchal n’allait plus dans la maison du chanoine, et que la famille Kolb évitait de prononcer son nom ; que le docteur d’un côté et Mlle Adda de l’autre avaient l’air de deux âmes en peine, et que de leur mariage tant prédit, il n’était plus question. Si vous connaissez la province, vous pouvez voir d’ici tout ce qu’on put broder sur un canevas si complaisant. Le public inventa plus de jolies choses qu’il n’en faudrait pour empêcher mille garçons de trouver une femme, et mille jeunes filles de trouver un mari. Pour Adda, qui vivait au milieu des siens comme dans un