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sol et se considérant comme l’héritier de leurs droits, le gouvernement anglais s’est emparé de toutes les forêts à la jouissance desquelles les exploitans n’avaient que des titres douteux, et depuis quelques années il essaie d’en tirer tout le parti possible, sans pour cela en compromettre l’avenir. Nous pouvons, au moyen de publications récentes, nous faire une idée assez exacte des résultats qu’il a déjà obtenus dans cette direction. Nous citerons surtout le rapport officiel du Dr Brandis et le livre de M. Cleghorn, publication privée, bien qu’elle ne soit en réalité qu’un recueil de documens officiels. Ces ouvrages, qui n’ont pas précisément été faits en vue de l’agrément des lecteurs, renferment des redites nombreuses et parfois même de vives discussions, mais ils témoignent du moins de la sincérité du gouvernement anglais, qui permet aux fonctionnaires de publier leurs propres rapports, sans croire sa dignité compromise par les opinions divergentes qui peuvent s’y rencontrer.


I

Bien que très vastes encore, grâce à un climat des plus favorables à la végétation, la plupart des forêts de l’Inde sont loin de présenter l’aspect imposant de celles de l’Amérique. On n’y voit pas sur des étendues sans limites les arbres pressés les uns contre les autres, reliés entre eux par des lianes innombrables qui opposent aux voyageurs des obstacles toujours renaissans ; on ne rencontre pas, dans des solitudes qu’aucun être humain n’a jamais violées, ces géans de la végétation qui, ajoutant chaque année pendant des siècles une couche ligneuse nouvelle aux couches anciennes, finissent par atteindre des dimensions dont nous avons peine à nous faire une idée : comme ils ont mis des siècles à s’accroître, ils mettent des siècles à mourir ; perdant chaque jour une branche, jusqu’à ce que, complètement dépouillés de leur feuillage, privés de sève, ils s’affaissent sur eux-mêmes, restituant au sol en une seule fois tout ce qu’ils lui ont enlevé pendant une longue suite d’années, et faisant dans le feuillage un vide que de nouveaux arbres viennent bientôt remplir. La nature dans l’Inde n’a pas cette majesté ; elle y paraît usée par les hommes ; le paysage y a le plus souvent un air de vétusté qui fait peine à voir ; les terres incultes ne sont que des terres abandonnées ; les forêts, déjà plusieurs fois exploitées, sont entrecoupées de clairières et peuplées de villages épars qui semblent dater eux-mêmes des premiers temps de l’humanité. C’est sur ce coin du globe en effet que notre espèce a pris pied dans ce monde, et depuis ce jour des milliers de générations s’y sont