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de nuances, cette variété de tons qui donnent tant de charme à celles de nos pays. Il y en a pourtant quelques-unes qui perdent leurs feuilles pendant la saison des chaleurs et qui, desséchées par un soleil ardent, s’allument avec la plus grande facilité et propagent au loin l’incendie. Il n’en est jamais ainsi dans les forêts qui restent toujours vertes, et l’ombre qu’elles projettent en fait un séjour délicieux même pendant les heures les plus chaudes du jour.

Au milieu de ces essences croissent de nombreux arbustes et arbrisseaux qui, s’enchevêtrant dans tous lest sens, forment des fourrés impénétrables qu’on désigne sous le nom de jungles[1]. Ces jungles envahissent, comme les maquis de la Corse, toutes les terres inoccupées, et sont le repaire des tigres et des autres animaux dangereux dont l’Inde est si abondamment pourvue. Parmi ceux-ci, il faut ranger les éléphans sauvages, qui, tant qu’ils sont en troupes, sont assez inoffensifs, mais qui, lorsqu’ils sont isolés, fondent sur les gens qu’ils rencontrent et les foulent aux pieds. Les tigres, sont plus à craindre encore, bien qu’un grand nombre d’entre eux n’attaquent jamais l’homme, car tant qu’ils n’ont pas goûté le sang humain, ils fuient à son aspect ; mais une fois qu’ils s’en sont abreuvés, ils y reviennent toujours et s’aventurent jusque dans les villages à la recherche de leurs victimes. Pour se mettre à l’abri de leurs attaques, on a dû entourer les villes de palissades et construire les maisons à 8 ou 10 mètres au-dessus du sol sur des pièces de charpente ou des faisceaux de bambous. Les plus redoutables néanmoins de tous ces animaux sont les serpens et surtout le cobra di capello, dont la couleur verte se confond avec celle du feuillage et dont la morsure est presque toujours mortelle. Les jungles occupent souvent des plaines maréçageuses d’où s’échappent en abondance des miasmes délétères ; l’atmosphère lourde et immobile donné à l’air une teinte morne et une pesanteur fatigante, qui énerve les forces et abat les hommes les plus robustes ; on ne pourrait y passer même une seule nuit sans s’exposer à une mort à peu près certaine. Toutefois ces jungles ne sont pas absolument improductives, quelques-uns des arbrisseaux qu’elles renferment fournissent des huiles, des résines ou des matières colorantes ; d’autres sont utilisés pour le chauffage. Le plus précieux de tous est le bambou, qui appartient à la famille des simples graminées, mais dont la végétation arborescente est d’une grande beauté. Les bambous sont employés à une foule d’usages ; les plus grands (on en trouve de 20 mètres de long) servent d’agrès pour les bateaux ou

  1. On a fait du mot jungle un mot spécifique pour désigner des fourrés d’arbrisseau, mais en indoustahi djangal signifie seulement un endroit non cultivé. — Voyez Jacquemont, Voyage dans l’Inde.