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vont s’occuper devrait être versé intégralement dans l’infanterie, sauf quelques milliers d’hommes prélevés pour les équipages de notre flotte, dont tous les généraux dignes de ce titre désirent le développement. Tout ce qu’il y a de meilleur dans le contingent n’est pas trop bon pour l’infanterie.

Pour avoir compris l’importance de cette arme longtemps avant que la combinaison de la cartouche et de la baïonnette lui eût donné toute sa valeur, l’Espagne a été pendant un siècle et demi prépondérante en Europe. La tendance actuelle à préférer les accessoires au principal nous inspire une douloureuse inquiétude. Croire qu’on a toujours le temps de s’occuper de l’infanterie est la plus dangereuse de toutes les erreurs. Quand la trompette sonne, entraînant hommes et chevaux, des cavaliers inexpérimentés, chargeant en désordre, chargeant, comme on dit, en fourrageurs, peuvent, en un instant, produire un effet considérable. L’infanterie a besoin d’une vertu de plus longue haleine ; elle a besoin qu’une forte éducation lui ait enseigné sa puissance. Ne donnons point à notre infanterie l’habitude de brûler une grande quantité de poudre par minute ; tâchons de lui faire contracter l’habitude, infiniment plus difficile, de ne pas tirer sans avoir pris le temps d’ajuster. Conservons-lui le désir et l’espoir de joindre un adversaire même grand consommateur de cartouches. Les occasions en sont fort rares ; une redoute ébauchée pour le combat, un village, peuvent les fournir, sans parler de l’attaque d’une brèche, où nos fantassins sont sans pareils. Enseignons-leur l’industrie du bivouac après une longue marche ; ne leur laissons pas oublier que, même avec les chemins de fer si utiles aux concentrations de troupes, au transport des munitions, la guerre, selon un axiome célèbre, sera encore dans les jambes des soldats. La stratégie a des moyens plus rapides qu’autrefois, ses principes ne sont pas changés. Quoi qu’en ait dit M. le ministre d’état, les chemins de fer n’ont donné à personne le secret de Napoléon. Les généraux qui n’attendraient leurs adversaires que sur les voies ferrées pourraient subir d’étranges mécomptes.

Si la poudre n’a pas plus que les rapides moyens de transport changé les règles de la stratégie, elle a incontestablement modifié la tactique, et pourtant nous devons encore dire, comme au temps de là légion romaine : In pedite robur. Le général qui aura su se former une infanterie excellente aura facilement raison de ceux qui auront placé leur confiance dans les armes spéciales.

Si on le veut, et il importe de le vouloir sans délai, notre infanterie, négligée aujourd’hui, épuisée par la funeste manie des corps d’élite, se retrouvera bientôt telle qu’elle a été longtemps, ardente au combat, très docile, très solide lorsqu’elle se sent bien