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au parlement depuis quinze ans ; mais cette réforme semblait d’abord si peu urgente, que les deux premiers, en 1852 et en 1854, ne furent même pas discutés, et que deux autres projets, en 1859 et en 1860, tombèrent devant l’indifférence du pays. C’est seulement depuis l’année dernière que cette affaire a été sérieusement débattue. On sait ce qui est arrivé. Le parti conservateur s’étant lentement, mais progressivement fortifié dans les élections partielles, et l’opinion générale étant que les tories ne tarderaient pas à recueillir l’héritage de lord Palmerston, lord Russell et M. Gladstone cherchèrent un appui dans la popularité que leur donnerait une large réformer électorale. S’ils n’avaient pas commis la faute de suivre les avis de M. Bright, chef de la petite coterie ultra-libérale dans la chambre des communes, la réforme aurait été adoptée sans grande difficulté, car on admettait généralement l’opportunité d’abaisser le cens électoral en faveur de ces classes ouvrières qui contribuent si largement à la prospérité et à la force du pays. Malheureusement, comme cela arrivé trop souvent aux chefs populaires, M. Bright n’était point libre. Il était poussé lui-même par le parti radical, qui demandait le suffrage universel, et qui, à défaut de cela, exigeait, comme un à-acompte et toutes affaires cessantes, un tel abaissement du cens électoral, que la démocratie encore peu éclairée aurait été portée d’un seul bond au gouvernement du pays ; mais le parlement avait des vues plus sages, et, dans l’intention de réformer réellement la représentation nationale, il demandait au ministère de compléter la loi par d’autres mesures non moins importantes, telles par exemple qu’une meilleure distribution des collèges électoraux. Les impatiens ne voulurent rien rabattre de leurs prétentions, le parti libéral se partagea, les mécontens (les adullamites) abandonnèrent le ministère, et celui-ci, qui aurait eu besoin d’une forte majorité pour rendre probable l’adoption de la mesure par la chambre des pairs, dut laisser à lord Derby la tâche, devenue de plus en plus scabreuse, de présenter une loi qui pût être acceptée.

Cette tâche difficile pour le cabinet de lord Derby, de lutter contre l’opposition dans le parlement, se trouve encore aggravée par une autre circonstance. Le chef du parti conservateur se voit attaqué de tous côtés par des ennemis nombreux, fortement organisés, disposant d’immenses ressources, et que, d’après les lois anglaises, il n’a aucun moyen de combattre. C’est la démocratie tout entière qui, dans les journaux, dans les sociétés populaires, sur la place publique, réclame le droit électoral, et qui le réclame surtout pour les ouvriers sans nombre composant les trade’s unions, ces associations d’ouvriers plus nombreuses et plus riches que ne le furent jamais les ordres monastiques, et qui en ce moment se croient en mesure de dicter la loi au pays. Des gens qui se disent bien