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Soronne une majorité de capucins il y a deux siècles. Il serait permis d’en douter, si l’on s’en tenait à certains faits assez significatifs, dont la généralité du public n’est pas suffisamment informée, mais qu’il n’est pas possible de mettre en doute : nous voulons parler du système protecteur que dans chaque métier les ouvriers entendent appliquer à leur manière, et qui porte par exemple les ouvriers tailleurs à abandonner et mettre en interdit les ateliers où l’on se sert de machines à coudre. Un symptôme beaucoup plus grave s’est révélé dernièrement à propos d’une association qui s’est formée contre l’ivrognerie, et à laquelle appartiennent des hommes éminens de toutes les croyances religieuses. Dans une séance de cette société, l’archevêque catholique Manning faisait remarquer que dans cette pauvre Irlande si peu considérée par les Anglais on avait volontairement cessé, en deux diocèses, d’aller au cabaret les jours de fête. « En Angleterre, ajoutait-il, ne pourrait-on prendre des mesures pour empêcher les ouvriers de jeter le dimanche dans ces repaires de misère et de corruption leur salaire de la semaine, reçu le samedi soir ? » La réponse ne s’est pas fait attendre. Le 6 mars dernier, un journal qui se tire à plus de cent trente mille exemplaires par jour, et qui est, avec le Star, l’organe spécial des classes ouvrières, le Daily Telegraph, a fait cette simple déclaration qu’il a eu soin d’imprimer en italique : en deux mots, nous ne voulons pas. Sans doute tous les ouvriers ne sont pas également protecteurs de l’ivrognerie, et l’on annonce qu’une députation s’est présentée à Carlton-House pour demander à M. Gladstone d’appuyer les efforts de M. Manning. Malheureusement cet ancien chancelier de l’échiquier semble avoir tellement besoin du suffrage populaire, qu’ayant vu combien le parti des ivrognes est nombreux, il a dû refuser, sans doute à regret, de s’unir au parti opposé.

Quoi qu’il en soit, les masses ouvrières frappent dans ce moment aux portes du parlement avec une énergie qui paraît devoir renverser tous les obstacles. Si les ouvriers obtiennent tout ce qu’ils demandent, les classes moyennes, au profit desquelles s’était faite la grande réforme électorale de 1832, auront perdu le pouvoir après l’avoir gardé trente-cinq ans. Y a-t-il dans les mœurs, dans les besoins, dans les intérêts, dans le caractère des classes moyennes quelque chose qui les rende peu propres au gouvernement d’un pays, et qui les force, ici après dix-huit ans, là après trente-cinq ans, à abdiquer en faveur de la démocratie ? C’est une question que nous n’avons pas à discuter ici. Un fait cependant doit frapper tout le monde, c’est la faiblesse extrême de la résistance à une attaque qui chaque jour devient plus redoutable, et surtout l’affaiblissement graduel du respect pour la légalité, respect qui semblait inné chez les Anglais, et qu’ils ne séparaient