Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 68.djvu/959

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour les populations agricoles, dont on connaît, en Angleterre comme en France, les tendances conservatrices, et l’on s’est rabattu sur le suffrage universel des locataires (le household franchise), à la condition qu’il ne serait limité par aucune disposition réglementaire, et que rien ne viendrait amortir le coup porté aux classes supérieures. C’est en un mot le triomphe pur et simple de la démocratie ouvrière qu’on réclame avec cette violence de langage et de formes à laquelle le parti radical ne nous a que trop souvent accoutumés. Seulement ce langage prend ici une couleur locale qu’il n’est pas sans intérêt de signaler. Dans des réunions présidées par les chefs du mouvement démocratique, on a dit sérieusement à lord Derby qu’il ne devait pas être premier ministre parce qu’il ne saurait ni faire un soulier, ni souffler une bouteille. Dans la bouche des ouvriers, cette façon très naïve de dire ôte-toi de là que je m’y mette doit donner à penser à M. Bright et à M. Gladstone, qui probablement ne seraient pas meilleurs cordonniers que le chef du parti tory. Quant aux innombrables accusations lancées sans cesse contre les conservateurs, qu’on essaie même de rendre responsables des accidens qui sont arrivés aux patineurs dans Regents-Park, elles n’ont rien de nouveau. C’est presque dans les mêmes termes l’histoire de Mme Veto accusée en son temps de provoquer les inondations de la Seine.

Il est à regretter qu’en se faisant l’organe des prétentions des ouvriers un homme comme M. Gladstone semble disposé à abandonner le droit des minorités, non des minorités factieuses, devant lesquelles on ne se montre que trop disposé à céder, mais de celles qui de tout temps et en tout lieu ont personnifié les lumières et les vertus d’un pays. Il serait digne de lui de songer à ce que dira l’histoire, toujours impitoyable envers les hommes d’état qui, pour de misérables questions de portefeuille, acceptent le rôle de chefs de faction. Ce n’est pas à lui, si bien au fait de la littérature italienne, qu’il est nécessaire de rappeler ces vers où Dante enseigne à se faire le défenseur courageux de la vérité sous peine de

Perder vita tra coloro
Che questo tempo chiameranno antico.

Pour n’avoir jamais cédé à la force, soit qu’elle s’exerçât de haut en bas, soit qu’elle poussât de bas en haut, Dante est mort dans l’exil après avoir été condamné trois fois au bûcher et au gibet comme voleur et faussaire par une démocratie qui cherchait son point d’appui à l’étranger ; mais son nom vit et vivra sans craindre les injures du temps. Quoiqu’on ait vu de bien singuliers reviremens dans les engouemens de la foule, M. Gladstone n’est pas