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Ils nt déclaré que, si les classes moyennes ne faisaient pas cause commune avec eux, il n’est sorte de vexations pacifiques (et le mot pacifiques a été répété plusieurs fois au milieu des sourires de la foule) qui leur seraient épargnées. Ceci est parler clair, et comme ils agissent de concert, la grève qui pendant une journée entière a rendu immobile le chemin de fer de Brighton peut donner une idée des moyens pacifiques qui sont à leur disposition.

Indépendamment des intérêts du commerce et de l’industrie, cette grève a été particulièrement dirigée contre les gens d’affaires de la Cité, qui ont pris peu à peu l’habitude d’aller résider avec leurs familles à Hastings, à Brighton, sur toute cette ligne en un mot, et qui chaque matin viennent à Londres, y passent la journée, et rentrent le soir chez eux, après avoir fait cent et souvent jusqu’à deux cents kilomètres en wagon. Ce n’est là qu’un premier avertissement donné par les ouvriers au pays. En généralisant cette mesure, — ils en ont, à ce qu’on assure, les moyens, — ils peuvent arrêter le mouvement et la vie dans toute l’Angleterre, et, en affamant les trois millions d’habitans de Londres, se rendre plus complètement maîtres du pays que ne le feraient deux cent mille soldats étrangers campés dans Hyde-Park. Pour donner une idée de la puissance de ces associations, il suffira de dire que celle des chauffeurs et des mécaniciens des chemins de fer, qui ne s’est formée que l’été dernier, se compose à l’heure qu’il est de quinze mille individus, Elle a son journal, The Train, et au moyen de petits versemens périodiques elle possède déjà un fonds de réserve d’un million et demi de francs environ. Quand ce fonds aura atteint une somme cinq ou six fois plus forte, les membres de cette association, même sans aucun secours étranger, pourront se mettre en grève et prolonger sans mourir de faim leur inaction pendant plusieurs mois. Comment le pays, privé par une telle grève de mouvement et de vie, pourrait-il se soustraire à la domination tyrannique de cette seule union ? Et n’y a-t-il pas dans cette association un danger plus grave pour la liberté que dans tous les ministères les plus conservateurs du monde ?

L’avertissement donné au pays le 26 mars dernier par les mécaniciens du chemin de fer de Brighton ne semble pas avoir été perdu, et il est impossible de ne pas être frappé de cette coïncidence que, le soir même du jour où ce chemin de fer était condamné à l’immobilité, la chambre des communes, où tout avait été lutte et confusion jusqu’alors, manifesta soudain un esprit de conciliation, une disposition à s’entendre, un apaisement vraiment surprenans. M. Disraeli dit qu’il n’insisterait pas sur le double vote ; M. Bright déclara qu’il ne réclamerait pas le suffrage universel des locataires ;