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en échelon, elles arrivent à subir l’influence d’un parti qui s’annonce hautement comme le démolisseur universel. Ce n’est pas ici qu’on peut se livrer à l’examen de l’organisation de ce parti et des moyens dont il dispose. Cependant on ne donnerait qu’une idée bien imparfaite de la gravité de la situation, si on le laissait absolument dans l’oubli. Ce parti est celui de l’athéisme, athéisme grossier, intolérant, menaçant, dont le chef le plus en évidence est M. Bradlaugh, qui vient récemment d’être élu un des trois membres du conseil exécutif de la ligue pour la réforme, et qui a pris le pseudonyme assez significatif d’iconoclaste. Ce que M. Bradlaugh et son parti veulent briser, ce n’est pas seulement l’église anglicane ou même le christianisme ; leur dessein est plus haut et plus ambitieux. C’est Dieu qu’ils ont pris à partie, et avec Dieu la liberté humaine et par conséquent toutes les bases de la justice et de la morale. Ce n’est pas l’incrédulité raffinée de Bolingbroke ou le scepticisme poli de Voltaire, qui disait à ses amis : « Donnez des croquignoles en faisant la révérence ; » c’est l’intolérance furieuse d’un fanatique qui frappe pour le plaisir de briser et d’abattre, et auquel toutes les armes sont bonnes. On devait croire que, dans un pays religieux comme l’Angleterre, cet iconoclaste n’aurait pas grand succès. Eh bien ! que l’on se détrompe, non-seulement les démolisseurs ont des journaux tels que le National Reformer et d’autres, où les attaques les plus violentes se succèdent sans interruption, mais ils possèdent une organisation qui leur permet d’avoir douze établissemens divers dans Londres, et, si l’expression était ici convenable, plus de vingt églises dans les principales villes de province (Birmingham, Glasgow, Liverpool, Manchester, etc.) où leurs maximes sont publiquement prêchées à la foule… La liste de ces singulières églises est publiée chaque semaine dans le National Reformer avec les procès-verbaux des séances. Il existe déjà une littérature athée composée de petits pamphlets qu’on vend quelques sous, et dont les ouvriers paraissent assez friands. Une seule de ces brochures, intitulée Y a-t-il un Dieu ? a été déjà tirée à onze mille exemplaires. Il ne faut pas croire que les classes inférieures soient indifférentes à ces publications. Les ouvriers ne vont plus guère à l’église ; c’est un fait qu’ils ont admis eux-mêmes dans leurs journaux en disant, pour l’expliquer, qu’ils ne se soucient pas des bancs qu’on leur offre gratis, et qui établissent une différence entre eux et les individus des classes supérieures. Thomas Carlyle, cet écrivain si original, qui excelle à présenter la vérité sous une forme paradoxale, a dit à ce sujet que, pour le fruit qu’on en retire, on pourrait fermer toutes les églises de Londres et remplacer les ministres du culte par des automates mus