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Maison rustique de Liébault. Il fit ses premières études presque sans maître, et commença par s’établir à Mantes pour y exercer la profession de chirurgien. Le maréchal de Noailles habitait pendant l’été un château dans le voisinage ; il eut occasion d’appeler le jeune Quesnay et fut frappé de la variété de ses connaissances. L’estime du maréchal le fit connaître, il se décida à venir à Paris. Là, plusieurs écrits spéciaux achevèrent de le mettre en lumière, car il se serait fait un nom dans la science médicale, si ses travaux d’économiste n’avaient eu encore plus d’éclat. Quand l’académie de chirurgie fut créée en 1731, il y entra en qualité de secrétaire perpétuel. Devenu premier médecin consultant du roi, Louis XV le prit en affection ; il le logea dans le palais de Versailles, l’appelait familièrement son penseur, et lui donna des lettres de noblesse avec des armes qu’il choisit lui-même, trois fleurs de pensée et cette devise : propter cogitationem mentis.

Là, au milieu de la cour, quand tout autre n’aurait songé qu’à tirer parti de cette bonne fortune, les idées de Quesnay se tournèrent vers les méditations économiques. La France ne se relevait qu’avec peine de l’état affreux où l’avait laissée Louis XIV. Pendant l’administration économe du cardinal de Fleury et de son contrôleur des finances Orry, que les courtisans avaient surnommé le bœuf à cause de son obstination au travail, un ordre relatif avait reparu dans l’administration ; après la mort du cardinal et la retraite d’Orry, les prodigalités et les désordres avaient recommencé. Sismondi a tracé dans son histoire un tableau fidèle de ce temps, qui n’est pas sans quelques rapports avec le nôtre : « La France, dit-il, présentait alors le contraste le plus étrange, le plus difficile à concevoir. La vraie nation, celle qui habitait les provinces, qui payait les impôts, qui recrutait les armées, était réduite à un état de souffrance, de pénurie, d’oppression, qu’elle n’avait jamais connu, même dans les siècles de la plus grande barbarie. La France au contraire que connaissaient les étrangers, celle qui se montrait à Paris, à Versailles et dans quelques grandes villes, était plus brillante, plus opulente, plus enjouée qu’aux plus beaux temps du règne de Louis XIV. Dans les campagnes, la taille, la gabelle, écrasaient l’agriculture. À Paris, d’immenses richesses circulaient parmi les fermiers-généraux et tous les financiers. Les courtisans, comblés des faveurs de la cour, y répandaient l’argent d’une main prodigue sur tous ceux qui servaient à leurs plaisirs. De très grandes fortunes s’étaient élevées dans la banque et le commerce ; les emprunts publics, les actions de la compagnie des Indes attiraient les capitaux de tous ceux qui voulaient s’assurer un revenu régulier sans prendre de souci. »