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premières, et le commerce ne fait que les changer de lieu pour les rapprocher des consommateurs. Des colonnes réunies entre elles par des lignes ponctuées montrent dans quelles proportions les richesses produites par l’agriculture passent des cultivateurs à la classe propriétaire et à la classe stérile, et ce que la classe productive doit en conserver pour assurer la reproduction.

Le tout a pour but de mettre en lumière cette vérité fort simple, que l’agriculture est la source de toutes les richesses, qu’elle fournit à la population entière ses subsistances, à l’industrie et au commerce ses matières premières, qu’elle a besoin pour prospérer de ce que Quesnay appelle des avances et que nous appelons aujourd’hui des capitaux, que tout ce qui permet aux cultivateurs de multiplier ces avances enrichit l’état, et que tout ce qui les diminue amène au contraire le dépérissement de la richesse et de la population. Au lieu d’éclaircir ces notions, le Tableau économique les obscurcit. On ne comprendrait pas pourquoi les disciples de Quesnay se sont obstinés pendant trente ans à reproduire leurs idées sous cette forme rebutante, si l’on ne savait que l’esprit humain aime les mystères et que l’obscurité sied aux oracles. Le sphinx économique se révélait par énigmes ; c’était une sorte d’initiation à la manière antique.

Outre son obscurité, le Tableau économique péchait surtout par cette qualification de classe stérile donnée aux industriels et aux commerçans. On comprend sans peine comment Quesnay, dans ses réflexions solitaires, avait été conduit à l’adopter. Par une série de monopoles, de prohibitions et de tarifs protecteurs, Colbert avait voulu servir les intérêts mal entendus du commerce et de l’industrie. Ce mot de stérile, faux en règle générale, avait alors beaucoup de vrai, parce qu’il s’appliquait à des industries privilégiées qui détruisaient beaucoup pour produire peu. La plupart des manufactures fondées par Colbert ne fournissaient que des objets de luxe, propres seulement à la consommation riche et fastueuse, tandis que l’industrie la plus naturelle et la plus féconde, celle qui nourrit les hommes, restait méprisée, opprimée et abandonnée. Quesnay avait voulu rétablir l’ordre vrai en replaçant l’agriculture au premier rang, mais l’expression avait mal servi sa pensée. Un orage s’éleva contre cette malheureuse épithète. Quesnay et ses disciples eurent beau l’atténuer en insistant sur le sens particulier qu’ils donnaient au mot, et qui dérivait de leur conception de la richesse ; l’impression première persista, tant il est vrai qu’il ne faut jamais se servir, dans l’intérêt des idées les plus justes, de termes détournés de leur sens usuel.

Quesnay comprit sans doute qu’il n’avait pas pris le meilleur