Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 68.djvu/976

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

il n’a pas tout à fait tort, car s’il doit échouer devant l’inertie égoïste du roi régnant ; il recevra de son successeur un autre accueil. Même sous Louis XV, il ne perdra pas tout à fait son temps. Si le roi lui échappe, il gagnera plusieurs ministres, des conseillers d’état, des intendans, et une part de son esprit pénétrera dans l’administration.

Il faut d’ailleurs se rendre bien compte de ce qu’il entend par pouvoir absolu. Il repousse les ressorts compliqués des gouvernemens mixtes, préconisés par son contemporain Montesquieu, en quoi il a tort assurément ; mais il ne veut pas que son autorité unique soit tout à fait sans contre-poids. Sa seconde maxime est le correctif de la première : que la nation, dit-il, soit instruite des lois générales de l’ordre naturel qui constituent le gouvernement le plus parfait. Son despote doit se renfermer dans l’exécution des lois naturelles, et s’il en sort, il doit rencontrer une résistance invincible, non dans des institutions spéciales, dans des assemblées ou des corporations qui supposent toujours des privilèges, mais dans la nation tout entière parfaitement instruite sur ses devoirs et sur ses droits. Il est certain qu’en effet, si les peuples étaient unanimes sur les conditions d’un bon gouvernement, l’appareil bruyant et tumultueux des luttes politiques deviendrait beaucoup moins nécessaire ; les mœurs suffiraient pour empêcher les abus ; mais comment obtenir cette unanimité ? Là est pour longtemps le côté chimérique. Un siècle s’est écoulé au milieu des révolutions, et on est encore bien loin de s’entendre. Les principes fondamentaux de toute société se dégagent lentement ; même en les supposant connus des hommes éclairés, ils ont beaucoup de peine à pénétrer dans les couches populaires. En attendant, tout pouvoir illimité, qu’il soit monarchique ou républicain, présente d’immenses dangers, car rien ne l’empêche d’enfreindre précisément ces lois essentielles dont Quesnay lui confie la garde, et Dieu sait si les gouvernemens de ce genre y ont jamais manqué ! Pour dégager ce qu’il appelle l’évidence, Quesnay comptait sur la libre discussion, mais la libre discussion est impossible sous un pareil régime. Montesquieu avait eu le coup d’œil plus juste quand il écrivait : « Dans un gouvernement despotique, il est également pernicieux que les particuliers raisonnent bien ou mal ; il suffit qu’on raisonne pour que le principe du gouvernement soit choqué. »

Quesnay n’en avait pas moins raison au fond en subordonnant la question des formes politiques à une conception plus haute de l’ordre social, il ne se trompait que sur l’application. Les institutions politiques sont un moyen et non un but ; une nation sage n’en aurait pas besoin. Il est vrai que du même coup un pouvoir fort