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là, sans tenir compte de la présence de Mme Miller, sans voir qu’elle était écoutée par les deux repasseuses les plus bavardes de Strasbourg, elle interpella Mme Kolb et lui dit :

« Maman ! sur ton salut éternel, dis-moi la vérité Est-ce que M. Marchal m’a demandée en mariage ? »

La femme du chanoine, ainsi prise au dépourvu, resta un moment bouche béante. Elle aurait bien voulu consulter son mari, qui était la forte tête du ménage, et en attendant qu’il fût là, elle cherchait un moyen de parler sans dire ni oui ni non, car elle n’était pas capable de mentir, même pour un grand bien. Cependant Adda la pressait ; Adda grandie, fortifiée et presque illuminée par son exaltation, plongeait un regard perçant dans les yeux de cette pauvre dame et répétait d’une voix haletante : Réponds ! réponds !

Mme Kolb eut peut-être une velléité de résistance ; elle se rappela vaguement les droits de l’autorité maternelle et se mit en devoir de dire qu’il n’appartient pas à une fille de questionner ses parents ; mais la figure bouleversée d’Adda lui fit peur, elle craignit de provoquer une crise de nerfs, et d’une voix émue, elle balbutia : — Il y a si longtemps !… Tu étais trop jeune pour lui… Et que t’importe maintenant, puisqu’il s’est marié avec une autre ?

Adda fondit en larmes, sauta au cou de sa mère en lui criant : Merci ! merci ! Puis elle tourna les talons et courut se réfugier dans sa chambre. Mme Kolb et Mme Miller, fort inquiètes l’une et l’autre, ne tardèrent pas à l’y rejoindre : elles la virent plongée dans la sainte Bible, ce qui les rassura pour un moment.

Quoique les parents soient toujours attentifs à se leurrer eux-mêmes, les Kolb ne pouvaient s’empêcher de craindre pour la raison de leur fille. Ses manières et son langage dépassaient quelquefois les bornes de l’excentricité ; elle riait, pleurait et surtout s’irritait sans cesse et sans mesure. Cette dernière incartade alarma sérieusement la famille : le chanoine pensa qu’il était temps d’aviser. Il fit quérir le tanneur et sa femme, le substitut fut mandé d’urgence ; on tint conseil au deuxième étage, sous la présidence du grand-père. Les uns jugèrent qu’il fallait distraire Adda, la dépayser, la conduire en Italie ; les autres étaient d’avis que le mariage seul la guérirait. Mais comment la marier, si elle ne s’y prêtait un peu ? Les épouseurs ne manquaient pas, Dieu merci ! elle en avait refusé depuis un an une demi-douzaine. La veille encore, un ami du chanoine était venu poser la candidature d’un certain M. Courtois, joli garçon, beau valseur, conseiller de préfecture et fils unique d’une famille aisée. Ce pauvre M. Kolb était si découragé qu’il n’avait pas même transmis la demande à sa fille. Le grand-père blâma son junior, tout chanoine qu’il était, et lui rappela