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inférieures. Là d’autres barrières de montagnes les arrêtent et les enferment ; mais de nouvelles ouvertures les attendent par où ils se précipitent encore vers les étages successifs des plaines du Péloponèse. Plusieurs de ces courans échappent de la sorte jusqu’à trois reprises à un cercle continu et qui semble infranchissable. C’est ainsi que des neiges perpétuelles des monts Aoraniens descendent, tantôt à la lumière du ciel, tantôt à travers les entrailles du sol, les eaux du Ladon et de l’Alphée vers le couchant, des marais d’Orchomène et de l’Eurotas vers le sud, du lac Stymphale, des marais de Lerne et des ruisseaux de l’Argolide à l’orient. Aristote a expliqué avec précision ce phénomène naturel ; mais les vieux Pélasges, qui en furent les premiers témoins, tout entiers à leurs préoccupations mélancoliques, ne virent dans ces trous béans où s’enfoncent avec fracas les rivières et les lacs que les portes retentissantes du Tartare. Ils étaient entrés dans le Péloponèse par l’isthme de Corinthe et en Arcadie par la vallée de Stymphale. C’est cette route même qu’il faut encore prendre, si l’on veut suivre jusqu’au Styx, dernière limite pour les vivans d’un voyage aux sombres rives, la gradation simultanée des paysages infernaux et de l’initiation religieuse.

Lorsqu’on atteint le sommet dépouillé des plateaux qui bornent l’Arcadie du côté de Sicyone et de Corinthe, on aperçoit tout d’abord devant soi le mont Cyllène, au pied duquel s’étend la plaine étroite, mais allongée de Stymphale. C’est la montagne dédiée à Mercure, le grand dieu pélasgique, dieu de la vie et de la mort, qui présidait à tous les actes des hommes, veillait sur leurs derniers momens, et d’un vol silencieux guidait les âmes vers leur demeure éternelle. Le Cyllène est aride, simple de forme, toujours neigeux ; la vallée qu’il domine, privée de verdure, plate et monotone, est l’ancien lit du lac, aujourd’hui presque à sec, pays malsain, d’où les exhalaisons marécageuses éloignent même les oiseaux. Nous n’y vîmes que les stymphalides, qui ressemblent à des corbeaux de petite taille, mais dont la tête est très grosse, qui voltigent çà et là et sautillent sur le sol limoneux. Cette région est maintenant inhabitée ; quelques pauvres bergers, malades de la fièvre, couchés au soleil dans les rochers où s’élevait l’antique ville de Stymphale, gardaient leurs chèvres, qui broutaient parmi les pierres de maigres tiges d’asphodèles et d’anémones. Un peu plus loin est un gouffre où tombe un courant d’eau bourbeuse qui sort des montagnes du Phénéos et dont le trop-plein formait le lac. C’est un puits ou plutôt une caverne ouverte à la base d’une colline. Le ruisseau jaunâtre roule lourdement jusqu’à l’ouverture de la grotte qu’il couvre, où il s’abîme sans bruit et presque sans mouvement ; mais plusieurs grands cercles composés de débris de végétaux