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formel de s’y trouver en même temps que lui. Cette bravade est acceptée aussitôt, et ce par deux raisons que Maurice Byrne devine avec la sagacité d’un homme versé en ces matières. — Vous êtes venue, dit-il à sa belle ennemie, parce que vous êtes sûre de vous-même et de votre indifférence. Vous êtes, aussi venue, reprend-il après un signe d’acquiescement, pour savoir si vous avez raison de compter à ce point sur vos dispositions à mon égard. — Pour un logicien rigoureux, ces deux hypothèses s’excluent ; mais demandez à une femme si Maurice Byrne n’est pas dans le vrai.

Quoi qu’il en soit, le combat recommence, cette fois avec un avantage marqué pour mistress Darrock, qui peu à peu cependant sent renaître en son cœur les anciennes faiblesses ; mais elle a pour se défendre, avec le souvenir des rudes épreuves auxquelles on l’a soumise, la crainte que lui cause chez cet homme, dont la supériorité intellectuelle l’attire encore, une absence complète de sentimens religieux. Il lui semble sans doute que le véritable amour est une foi, et que, dans un sol où l’idéal divin n’a pu établir ses racines, l’idéal humain n’en saurait avoir. Aussi, malgré le déchirement d’une séparation nouvelle, refuse-t-elle de confier ses destinées à ce Maurice qui l’a si bien torturée et qu’elle aime tant. — C’est par parenthèse juste à ce moment qu’au sortir de la conférence où elle lui a notifié sa décision finale le célèbre voyageur rencontre Kate Lethbridge, et l’emmène sans préméditation jusqu’à Londres, où il l’épouserait par générosité pure, si elle pouvait se prêter à un arrangement pareil.

Mistress Darrock resta-t-elle inflexible jusqu’au bout ? Comment miss Lethbridge subît-elle les tristes conséquences de son bizarre enlèvement ? Qu’advint-il enfin de ces deux intéressantes personnes ? Nous nous dispenserons de nous expliquer là-dessus. Une des meilleures traditions de la critique anglaise est de ne jamais déflorer une fiction en livrant le dénoûment à la curiosité publique. Il semble tacitement convenu qu’en déchirant le voile on porterait atteinte aux privilèges de l’inventeur, qu’on empiéterait en quelque sorte sur son brevet.

M. Edmund Yates, que nous avons déjà fait connaître aux lecteurs de la Revue, en leur offrant la réduction d’un de ses romans[1], est essentiellement un peintre des réalités contemporaines. Le champ de ses observations ne s’étend guère au-delà des faubourgs de Londres ; mais dans ce domaine encore assez vaste il serait difficile de trouver un guide plus sûr, plus au courant des rapports établis entre les diverses classes par la sociabilité moderne. Ses personnages, invariablement choisis parmi ceux que chacun de nous a pu connaître, ont en commun avec nous jusqu’aux moindres nuances d’idées et de sentimens ; on les reconnaît sans difficulté pour enfans, non de notre XIXe siècle, mais de sa seconde moitié, non de sa

  1. Broken to harness. Voyez dans la Revue des 1er février, 15 février et 1er mars 1866, Barberine au joug.