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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 juin 1867.

Les spectacles qui viennent d’être donnés à Paris sont une illustration imprévue de la civilisation contemporaine. Quoi de plus bizarre que les contrastes de ces bruyantes scènes ? Ce sont d’abord des souverains, représentans archaïques du passé royal de l’Europe, et les foules endimanchées d’une démocratie florissante, deux séries d’acteurs se servant mutuellement de spectateurs, — qui sont venus parader les uns en face des autres pour leur amusement réciproque. Les princes étrangers ont pris évidemment plaisir à vivre un moment dans la mêlée de la démocratie parisienne, et les masses vivantes qui bouillonnent et tourbillonnent dans notre Paris ont vu passer au milieu d’elles avec une curiosité enjouée ces êtres étranges en qui se personnifie encore le vieux principe monarchique du passé. Il y a eu là comme deux étonnemens, deux étourderies, deux emportemens de frivolité se rencontrant et s’excitant l’un l’autre. Quelle singulière rencontre ! Un tsar russe, le dernier représentant du despotisme des temps barbares, venant goûter en passant aux badinages de la vie parisienne si peu d’années après les guerres que nous avons faites à la Russie et après la dernière croisade que nous avons essayé d’organiser, en faveur de nos vieux et éternels amis les Polonais ! un roi de Prusse venant nous montrer la rondeur de ses manières et sa bonhomie de vieillard aimable ! M. de Bismark, cet homme à casque, nous exhibant son uniforme de général deux mois à peine après une crise où l’on se croyait à la veille d’une guerre implacable contre la Prusse et l’Allemagne prussienne ! tout cela venant se noyer dans des plaisirs faciles et des deux côtés gaîment partagés, dans des représentations de gala, dans des féeries nocturnes, dans des revues splendides, dans le fourmillement des multitudes empressées ! le drame sinistre éclatant tout à coup au milieu de ces fêtes par la folie désespérée d’un malheureux fanatique, mais détourné sur-le-champ par