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garderait en toutes circonstances une stricte neutralité ; mais eux non plus ne le voulaient pas croire. En vain expliquait-il que, pour assurer sa neutralité du côté de la France, il n’avait pas eu besoin, comme son voisin de Naples, de conclure un traité, parce que cette neutralité résultait de sa situation même et de sa qualité de père commun des fidèles. « Elle était pour lui, disait-il, de devoir étroit, et jamais il ne souffrirait qu’il y fût porté atteinte par qui que ce soit. » Ces protestations solennelles de Pie VII étaient écoutées avec respect, mais sans confiance, par les ambassadeurs étrangers, car, s’ils étaient tous persuadés de sa volonté de rester neutre, aucun ne lui croyait le pouvoir de faire, en cas de besoin, observer sa neutralité. Le libre passage accordé à travers les états pontificaux aux troupes du général Gouvion Saint-Cyr pour se rendre sur les champs de bataille du midi de l’Italie était à ce moment même dénoncé par le ministre de l’Autriche comme une preuve flagrante de la complaisance du pape envers Napoléon. Déjà nos plus fougueux adversaires annonçaient, peut-être sans beaucoup y croire, la prochaine occupation des domaines du saint-siège ; Consalvi protestait contre la seule admission d’une semblable hypothèse ; le cardinal Fesch demeurait impassible et silencieux, lorsqu’au plus fort de ces ardentes controverses échangées entre toutes les chancelleries et dans tous les cercles de Rome tomba tout à coup la surprenante nouvelle de la prise de possession d’Ancône par les troupes françaises.

Le général Gouvion Saint-Cyr était entré à Ancône vers le milieu d’octobre 1805 ; pendant quelque temps, il avait à dessein laissé ignorer ses véritables projets. Consalvi s’était, au premier bruit de cette frauduleuse invasion, adressé à l’ambassade française. A Rome, le cardinal Fesch n’avait pu donner que les plus vagues réponses. L’oncle de Napoléon ne savait absolument rien. Il y avait eu probablement quelque malentendu. On avait tort, en tous cas, de se tant émouvoir. Il allait d’ailleurs écrire aussitôt à sa cour… Le cardinal Fesch faisait-il semblant d’être plus ignorant qu’il ne l’était en effet, et d’avoir été, comme le saint-siège lui-même, pris au dépourvu par une mesure que certainement il était loin d’approuver ? Ou bien l’empereur, afin de mieux tromper la cour de Rome, avait-il commencé par abuser son propre ambassadeur, dont le zèle pour les intérêts temporels du pape commençait à lui déplaire ? Cela serait aujourd’hui assez difficile à démêler. Le saint-père, les membres du sacré-collège et Consalvi lui-même, quoique déjà à peu près brouillé avec le cardinal Fesch, ont toujours incliné à croire qu’à l’ambassade de France on n’avait rien su à l’avance. Suivant eux, le ministre de Napoléon aurait été de la meilleure foi du monde lorsque, dans les premiers instans, il avait