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quelconque, partagé ces sinistres espérances. Ne s’était-il point naguère refusé à casser le mariage d’un prince français, frère de l’empereur, avec la fille protestante d’un simple citoyen des États-Unis ? Là était le crime et le signe trop évident de sa mauvaise volonté. Et ce pape, n’était-ce pas celui qui, afin d’obtenir la restitution d’une partie de ses provinces, n’hésitait pas, il y avait six mois à peine, à le reconnaître devant l’Europe entière comme l’héritier des anciens empereurs d’Occident ? Mais lui, le successeur de Zacharie, comment avait-il rempli ses devoirs envers le Charlemagne des temps modernes ? Voilà ce que Napoléon croyait à propos de rappeler à Pie VII, et dans quels termes, on va le voir :


« Très saint-père, écrit l’empereur de Munich, le 7 janvier 1806, comme s’il décachetait à l’instant même la missive du pape, je reçois une lettre de votre sainteté sous la date du 13 novembre. Je n’ai pu qu’être très vivement affecté de ce que, quand toutes les puissances à la solde de l’Angleterre s’étaient coalisées pour me faire une guerre injuste, votre sainteté ait prêté l’oreille aux mauvais conseils, et se soit portée à m’écrire une lettre si peu ménagée. Elle est parfaitement maîtresse de garder mon ministre à Rome ou de le renvoyer. L’occupation d’Ancône est une suite immédiate et nécessaire de la mauvaise organisation de l’état militaire du saint-siège. Votre sainteté avait intérêt à voir cette forteresse dans mes mains plutôt que dans celles des Anglais ou des Turcs. Votre sainteté se plaint de ce que, depuis son retour de Paris, elle n’a eu que des sujets de peine. La raison en est que depuis lors tous ceux qui craignaient mon pouvoir et me témoignaient de l’amitié ont changé de sentimens, s’y croyant autorisés par la force de la coalition, et que, depuis le retour de votre sainteté à Rome, je n’ai éprouvé que des refus de sa part sur tous les objets, même ceux qui étaient d’un premier ordre pour la religion, comme par exemple lorsqu’il s’agissait d’empêcher le protestantisme de relever la tête en France. Je me suis considéré comme le protecteur du saint-siège, et à ce titre j’ai occupé Ancône. Je me suis considéré, ainsi que mes prédécesseurs de la deuxième et de la troisième race, comme le fils aîné de l’église, comme ayant seul l’épée pour la protéger et la mettre à l’abri d’être souillée par les Grecs et les musulmans. Je protégerai constamment le saint-siège, malgré les fausses démarches, l’ingratitude et les mauvaises dispositions des hommes qui se sont démasqués pendant ces trois mois. Ils me croyaient perdu. Dieu a fait éclater, par le succès dont il a favorisé mes armes, la protection qu’il a accordée à ma cause. Je serai l’ami de votre sainteté toutes les fois qu’elle ne consultera que son cœur et les vrais amis de la religion. Je le répète, si votre sainteté veut renvoyer mon ministre, elle est libre de le faire : elle est libre d’accueillir de préférence et les Anglais et le calife de Constantinople ; mais, ne voulant pas exposer le cardinal Fesch à des avanies, je le ferai remplacer par un séculier… Dieu est juge qui a le plus fait pour la religion de tous les princes qui règnent[1]. »

  1. Correspondance de l’empereur Napoléon Ier, t. XI, p. 527.