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Comme si cette lettre n’était point déjà assez significative, le même jour Napoléon en adressait une seconde à son oncle. Cette dernière était plus insultante encore pour le pape, et le cardinal Fesch recevait l’invitation d’en donner connaissance au Vatican.


« Le pape m’a écrit la lettre la plus ridicule, la plus insensée ; ces gens-là me croyaient mort. J’ai occupé Ancône parce que, malgré vos représentations, on n’avait rien fait pour la défendre, et que d’ailleurs on est si mal organisé que, quoi qu’on eût fait, on aurait été hors d’état de la défendre contre personne. Faites bien entendre que je ne souffrirai plus tant de railleries, que je ne veux point à Rome de représentans de Russie ni de Sardaigne. Mon intention est de vous rappeler et de vous remplacer par un séculier. Puisque ces imbéciles ne trouvent pas d’inconvénient à ce qu’un protestant puisse occuper le trône de France, je leur enverrai un ambassadeur protestant… Je suis religieux, mais je ne suis pas cagot. Constantin a séparé le civil du militaire, et je puis aussi nommer un sénateur pour commander en mon nom dans Rome. Il leur convient bien de parler de religion, eux qui ont admis les Russes, et qui ont rejeté Malte et qui veulent renvoyer mon ministre ! Ce sont eux qui prostituent la religion… Dites à Consalvi, dites même au pape que, puisqu’il veut chasser mon ministre de Rome, je pourrais bien aller l’y rétablir. On ne pourra donc rien faire avec ces hommes-là… Ils deviennent la risée des cours et des peuples. Je leur ai donné des conseils qu’ils n’ont jamais voulu écouter. Ils croyaient donc que les Russes, les Anglais, les Napolitains auraient respecté la neutralité, du pape ! Pour le pape, je suis Charlemagne, parce que, comme Charlemagne, je réunis la couronne de France à celle des Lombards et que mon empire confine avec l’Orient. J’entends donc que l’on règle avec moi sa conduite sur ce point de vue. Je ne changerai rien aux apparences, si l’on se conduit bien. Autrement je réduirai le pape à être évêque de Rome… Il n’y a rien, en vérité, d’aussi déraisonnable que la cour de Rome[1]. »


En vérité, on se demande ce que se proposait alors l’empereur en adressant à Pie VII de pareils reproches et de si terribles menaces. La suite de cette étude fera voir que les menaces, chaque année plus accentuées, ne parvinrent point à ébranler la conviction où était le saint-père qu’il ne lui était pas loisible, par des motifs uniquement tirés de sa conscience de souverain pontife, de se départir comme prince temporel des obligations d’une scrupuleuse neutralité. Quant aux reproches de s’être entendu avec les ennemis de la France et d’avoir au fond de son cœur formé des vœux contre elle, les détails dans lesquels nous venons d’entrer ont suffisamment démontré à quel point ils étaient injustes. Au moment où Napoléon parlait en termes si blessans de la prétendue tendresse de Pie VII pour les sujets schismatiques de l’empereur de Russie et

  1. Correspondance de l’empereur Napoléon Ier, t. XI, p. 528.