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raisonnait en homme qui croit qu’on reste maître de faire tout ce qu’on veut dans le tourbillon d’une telle crise. Ce serait vrai tout au plus, si la politique était le royaume des sages, si les intérêts et les passions n’y jouaient pas leur rôle. Pasini, je le crois, obéissait, sans se l’avouer peut-être, à quelque sentiment secret de méfiance à l’égard du Piémont ; mais en pensant qu’on s’était trompé, et sans cacher ce qu’il pensait, il n’était pas moins d’âme et d’intelligence dans cette entreprise où l’Italie était engagée. Il se trouvait à Milan lorsque les Autrichiens rentrèrent à Vicence à la suite des plus violens combats, et ce fut pour lui une anxiété cruelle de voir retomber sous le joug sa ville natale, où il avait laissé sa famille. Bientôt ce n’était plus seulement à Vicence, c’était à Milan même que les Autrichiens rentraient victorieux et irrités. On était au mois d’août. Tout avait terriblement changé en peu de temps. Pour la première fois, Valentino Pasini s’exilait momentanément à Lugano, et c’est là que Manin allait le chercher comme l’homme le plus capable de représenter Venise en France. Manin le connaissait depuis longtemps, il savait ce qu’il y avait de ressources chez l’habile Vicentin, et nul en effet n’était plus propre à une telle mission. Venise avait trouvé en Manin un chef digne d’elle, et le chef avait trouvé un représentant digne de lui. Pasini n’avait pas l’éclat de renommée littéraire de Tommaseo, à qui il succédait ; mais il avait l’activité d’un esprit fait pour manier tous les problèmes de droit diplomatique, pour gagner tout ce qu’on pouvait gagner par l’étendue des connaissances aussi bien que par la dextérité de la conduite.

C’était en vérité une situation difficile que celle d’un diplomate improvisé venant à ce moment représenter l’indépendance vénitienne en France. Voici quelle était cette situation diplomatiquement, strictement. La lutte était suspendue au-delà des Alpes par l’armistice piémontais, qui laissait l’Autriche maîtresse de la Lombardie ; Venise seule se défendait, et à la guerre était substituée une médiation proposée par la France et par l’Angleterre, acceptée par l’Autriche ; mais dans quelles conditions générales se débattait ce malheureux problème d’une pacification propre à concilier le sentiment d’indépendance d’un peuple frémissant dans sa défaite et l’orgueil d’une puissance qui venait de se raffermir par les armes ? En Italie même, tout était confusion et déchaînement, et comme si ce n’était pas assez de la difficulté qu’il y avait à sauver quelque chose du naufrage pour les provinces du nord, la situation se compliquait encore d’une république romaine, devant laquelle s’enfuyait le pape, d’une république ou d’une semi-république toscane, devant laquelle s’enfuyait le grand-duc. En France, le pouvoir était incertain et précaire ; l’opinion vivait dans de perpétuelles perplexités