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ne ferait point le sacrifice, était cependant susceptible d’améliorations dans le détail, et il a donné à entendre qu’il serait accommodant, dans cette œuvre de transaction, avec les sentimens qui lui sembleraient être ceux de la majorité de la chambre. M. Disraeli, avec un grand tact aussi et une rare habileté de conduite, est en train de former autour de lui. une majorité expérimentale. Ce manège, dont l’adresse efficace ne lui a point échappé, semble avoir rebuté M. Gladstone. L’éloquent libéral fait mine de vouloir abandonner la direction de son parti, qui était une espèce de servitude pour ce génie indépendant, prompt à s’abandonner aux tentations du talent, facile à l’émotion, naturellement rebelle à une discipline par laquelle les chefs sont bien plus durement liés que leurs partisans ordinaires. M. Gladstone persistera-t-il dans une abdication qui est pour lui un affranchissement ? Son coup de tête n’est point conforme aux allures habituelles du tempérament britannique ; la vertu la plus prisée d’un leader en Angleterre est la patience et la persévérance infatigable. Il faut que le leader fasse passer dans l’esprit de ses partisans la conviction qu’il ne leur fera jamais défaut, que toujours ils pourront compter sur lui. Le modèle de cette patience invincible est bien le rival de M. Gladstone, M. Disraeli, qui a surmonté tous les désagrémens que son parti ne lui a point ménagés dans une association qui dure depuis vingt aimées.

La presse libérale s’acquittera d’un agréable devoir envers un sincère et courageux écrivain, et rendra un service à ses lecteurs en signalant à l’opinion publique l’intéressante et forte étude entreprise par M. Lanfrey dans son Histoire de Napoléon Ier. Le premier volume de cet important ouvrage vient de paraître ; il conduit Bonaparte jusqu’au 18 brumaire. M. Lanfrey nous donne là la première œuvre vraiment critique qui ait été encore tentée en France sur Napoléon. L’écrivain a déjà fait ses preuves de sagacité historique ; les amateurs d’histoire politique comprirent le mérite qui s’annonçait en lui lorsqu’ils lurent son premier ouvrage, où il suivit avec tant de pénétration durant le XVIIIe siècle ce qu’on pourrait appeler les mouvemens du pouvoir temporel du clergé catholique en France. On ne comprend rien à la révolution française quand on n’a pas eu, comme M. Lanfrey, l’idée et la patience d’étudier cette immixtion incessante, toujours active, toujours ardente à la flatterie du pouvoir et inexorablement persécutrice contre toutes les tentatives d’indépendance spirituelle. Ce joug, qui nous paraît aujourd’hui invraisemblable jusqu’au ridicule, pesait alors sur la liberté de penser et de croire avec la plus odieuse réalité et s’aggravait de la complicité du pouvoir despotique. Le génie despotique, dans des circonstances bien différentes et par une sorte d’incarnation personnelle, devait rencontrer bientôt après dans Napoléon un représentant extraordinaire. C’est à cette figure et à l’analyse de cette idiosyncrasie exceptionnelle que M. Lanfrey s’attache aujourd’hui. D’une plume sobre, familière, hardie, il fouille cette grande et terrible figure, et nous en donne