Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 69.djvu/304

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

S’il faut prendre au sérieux ce talent très remarquable, mais très jeune aussi, quel chemin le paganisme a fait depuis l’aimable Keats ! La mythologie lui suffisait, il ne parlait qu’à l’imagination. Aujourd’hui il va au fond des choses, il fait table rase dans l’âme, il s’empare des sentimens de toute la vie morale, il refond tout cela et le forme à son image.

Algernon Charles Swinburne appartient à une race fort ancienne de baronnets du Northumberland. L’Angleterre avait bon nombre de ces familles aux vertus et aux crimes historiques, éprouvées aussi par les vicissitudes les plus incroyables de la fortune, et qu’elle tenait comme en réserve pour le pinceau de Walter Scott. Celle de M. Swinburne était digne de fournir une toile au grand romancier. Un représentant de cette race fut emporté en exil dans son enfance durant les guerres civiles. Il fut élevé en France, et y serait mort inconnu, oublié, si un étranger qui avait vu sa famille n’avait par hasard été frappé des traits héréditaires de sa physionomie. Cette reconnaissance de roman remit les Swinburne en possession de leurs domaines. Contraste singulier des temps ! l’ancêtre fut le héros d’une aventure dramatique, le petit-fils aujourd’hui versifie des drames ; l’ancêtre exilé fut accueilli par la France, le petit-fils demande à la France des modèles littéraires et des inspirations.


« Ce n’est pas, dit-il dans sa pièce à Victor Hugo, ce n’est pas en étranger ni sans amour que je tourne les yeux vers la belle et féconde France, qui, par-delà l’écume des flots, donna secours et abri à mes pères. Sa large mamelle rendit la chaleur et la vie aux exilés à qui la mère-patrie refusait le lait et les caresses, aux orphelins jetés autrefois sur une terre plus généreuse. »


Nous aimons que le petit-neveu des exilés soit venu demander la nourriture intellectuelle au génie hospitalier de la France ; mais quel usage en a-t-il fait, et a-t-il bien choisi ? Les pages qui suivent le diront au lecteur. Deux drames tirés de l’histoire moderne, The queen Mother et Rosamond, publiés en un seul volume il y a sept ans, voilà le début de M. Swinburne. La littérature anglaise contemporaine conserve la tradition de son magnifique théâtre d’autrefois en des œuvres qui voient rarement le feu de la rampe. Une poésie éloquente, de fortes qualités de style, n’empêchèrent pas ce premier essai d’être négligé. Nous ferons comme le public, et nous ne garderons de souvenir que pour les œuvres suivantes, qui se sont emparées de l’attention générale. C’est dans l’ordre chronologique Atalanla in Calydon et Chastelard, encore deux drames, l’un grec, l’autre moderne, et le volume le plus récent, Poems and Ballads. Si Atalanta est le meilleur ouvrage de M. Swinburne, et si les