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passionnés, avec ses lèvres plus ardentes que le vin… Je crois que ce feu ne se réduira jamais en cendre, et que toujours il nourrira dans mes restes une flamme pour montrer où était ce cœur qui n’a pas voulu s’éteindre. Le Christ a eu beau faire, Vénus n’a pas été domptée : sa bouche est toujours rouge du sang des hommes, aspirant entre ses petites dents le sang de leurs veines, répandant un baume de mort sur ses douces lèvres, beauté amère, bouche garnie de perles qui communiquent le poison. Donc le mieux est de mourir promptement. Ah ! belle déesse d’amour, belle redoutable Vénus née de l’écume mortelle de la mer, je vous échapperai, je l’espère, en mourant ; j’échapperai à cette bouche de feu, à cette poitrine qui brûle. Le mieux est de mourir. »


Voilà le drame du paganisme nouveau. N’avez-vous pas remarqué cette image deux fois répétée déjà de la bouche remplie de sang ? Marie Stuart comme Althée, la femme avec toutes ses grâces ou déjà flétrie, la femme, quelle que soit sa passion, orgueil, vengeance ou sensualité, est un vampire qui suce le sang de l’homme. Cette inimitié entre elle et le poète n’est pas chose neuve. La satire perpétuelle des femmes a valu le titre de misogyne à Euripide, celui des poètes grecs dont M. Swinburne cherche le plus volontiers les traces. Ces vers méchans, si nombreux chez le tragique grec, étaient sans doute autant de revanches : on sait le mot de Sophocle sur cette querelle de son rival avec un sexe entier. M. Swinburne est bien jeune encore, ce ne sera pas faire offense à sa gravité que de répéter avec Sophocle : « Euripide ne déteste les femmes que dans les tragédies. »


III

Suivant un opuscule que M. Swinburne a écrit pour la défense de son volume de Poems and Ballads, la poésie anglaise de nos jours ne connaît qu’une forme, l’idylle : elle fait de la pastorale le fond perpétuel de l’élégie, du poème lyrique, et même, cela s’est vu, de l’épopée chevaleresque ; elle a l’églogue de la ferme et du moulin, du grenier et du salon, du château et du presbytère, il n’est pas jusqu’à la prison et à l’échafaud qui n’aient été mis en églogues. L’Angleterre poétique est devenue une grande bergerie. Cette mode, selon l’auteur d’Atalanta, a des inconvéniens manifestes. Quand un seul coin du firmament littéraire est visible et que le reste est caché dans les nuages, il y a toujours une étoile dont l’éclat supérieur éclipse les autres : ce n’est plus qu’un astre brillant autour duquel des nébuleuses flottent sur le sombre azur. Quel est cet astre qui efface tout autour de lui, ce modèle de la pastorale rustique, élégiaque, chevaleresque ? On le devine aisément, c’est le grand