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N’insistons pas davantage sur ce point : on voit assez en quel sens M. Swinburne est outré, et comment, à force de vouloir être grec, il cesse de l’être. Son Laus Veneris est profondément triste, et l’imagination hellénique, même quand tout ne sourit pas autour d’elle, se dore toujours de quelque rayon d’espérance ou de joie. Sa Phœdra est enflammée et sensuelle, et le théâtre grec est un sanctuaire de pudeur. Son Anactoria respire l’odeur du sang, et la poésie de Pindare et de Sophocle est le charme de l’humanité. Triste, ardent et cruel, voilà son paganisme, et la mythologie d’Homère respire le bonheur, le plaisir calme et la tendresse.

Les autres pièces du recueil sont animées du même esprit et brûlent des mêmes passions. Dans Faustine, Dolores et la poésie ayant pour titre In the Orchard (Le Verger), on a le pendant du Laus Veneris et de la Phœdra. Ce sont des flammes autour desquelles l’auteur fera bien une autre fois d’épaissir un peu les voiles, s’il ne veut pas s’entendre accuser d’écrire dans des situations d’esprit trop violentes. Chaque poète a ses mots favoris qui reviennent sauvent sous sa plume. M. Swinburne fait un tel abus des lèvres et des baisers, que ces mots, poétiques s’il en fut, en deviennent fatigans. Le pendant du morceau d’Anactoria ne serait pas bien difficile à trouver. Je reconnais volontiers que la décence ne manque pas à son Hermaphrodite, mais pourquoi nous retenir le temps d’une tirade de cent vers devant ce monstre des bas siècles de l’art grec ? Pourquoi récidiver encore avec la pièce de Fragoletta ? Enfin les raffinemens cruels, le plaisir de voir le sang et de donner ou de recevoir la mort s’étale en plus d’une de ces pages, et ce n’est pas seulement quand il veut être grec que M. Swinburne tombe en ces excès.

Est-ce à dire que nous nous étonnions beaucoup de ces exagérations ? Le remarquable poète que nous venons de lire n’a-t-il fait qu’obéir à l’emportement du caprice ou au désir de frapper fort et de prendre d’assaut la renommée ? Sans doute il faut mettre une notable partie de ces excès sur le compte de la jeunesse : quand les passions parlent haut, quand les sens bouillonnent et que le tempérament ne sait pas se maîtriser, on croit volontiers qu’il n’y a dans la vie que des sens et des passions ; mais attendez que l’expérience prenne la parole à son heure, comme elle aime à le faire quand elle peut être écoutée, les sens, comme des bêtes échappées, sont ramenés au devoir, et la vie elle-même se charge tôt ou tard de démontrer la nécessité de quelque loi morale. Le temps viendra sans doute pour l’auteur d’Anactoria de réprimer les hennissemens de sa muse indomptée et matérialiste. Toutefois ne craignons pas de le dire, tout n’est pas affaire de tempérament dans ces révoltes,