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dans ces débordemens, dans ces férocités. Écartons toute idée de calcul, nous avons trop d’estime à l’égard du vrai talent pour croire aisément celui qui le possède capable de spéculer sur l’immoralité. Aussi reste-t-il à montrer que ce genre d’excès était presque inévitable dans la voie où s’est engagé M. Swinburne.

Nous avons également nos païens ; mais on peut dire en général que pour eux le paganisme est un thème rajeuni qui fournit à leur main d’artiste des variations poétiques. Les uns, les plus distingués, ennuyés de la personnalité larmoyante ou boursouflée qui s’étalait dans les vers de notre temps, sont remontés aux sources primitives grecques, comme à l’éternel réservoir de toute poésie. Ils traduisent Homère. Ils se sont faits grecs par dégoût de la vulgarité, et nous devons à leur accès de misanthropie littéraire quelques-uns des meilleurs vers de ce temps, quelques gouttes de miel qu’ils ont rapportées du mont Hymette. Les autres sont tombés amoureux du Parthénon après avoir été passionnés pour les cathédrales ; ils ont passé, avec la rapidité d’humeur qui règne dans les ateliers, des arceaux et des ogives aux attaques et aux frises, des justaucorps et des souliers à la poulaine aux péplums et aux cothurnes. Pour leur talent, qui se compose surtout de la convoitise des yeux et qui se paie volontiers de couleurs, le goût païen a été une mode qui n’exigeait que le changement de leur vestiaire et le renouvellement de leur mobilier. D’autres encore sont des versificateurs d’une facilité infinie, qui font tout ce qu’ils veulent de la langue et de la rime ; ils ressemblent, au moins pour le libre caprice, au sculpteur devant le bloc de marbre :


Sera-t-il dieu, table ou cuvette ?
Il sera dieu !…


Leur ode sera Jupiter, leur élégie Vénus, leur idylle Diane, parce que c’est la mode. Il est certain que M. Swinburne les a lus ; n’a-t-il pas été dupe de ce paganisme de dilettante ? Je le crains. C’est peut-être ce qui nous vaut l’avantage d’être proposés par lui en modèle à l’Angleterre à la fin de ses Notes on Poems and Ballads. Nous ne connaissons chez nous qu’un exemple pénible de ce sérieux apporté par M. Swinburne dans certaines aberrations morales, et encore n’y a-t-il que le paganisme du cœur, le paganisme sans les dieux païens. Sur cet exemple, le poète anglais est bien prodigue de son admiration. Qu’il y songe bien ; il y a là pour lui plus lieu de réfléchir que d’admirer.

M. Swinburne n’est pas comme nos païens, il a pris le paganisme au sérieux, in earnest ; certes il n’est pas plus anglais que son devancier Keats, mais par ce côté il l’est encore. La vie est courte,