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capitale de l’Oman, il traverse le golfe et aborde à Ormuz, qui ne conserve plus que les ruines de l’ancienne splendeur portugaise. Il opère enfin son retour sur Bassorah, et son voyage si aventureux se termine par un naufrage, non point de ces naufrages qui ornent un récit et le complètent par l’agrément d’une innocente émotion, mais un vrai naufrage, dans lequel il faut nager tout de bon. Cette dernière partie de l’exploration de M. Palgrave n’est pas moins intéressante que la première ; mais elle comprend des pays mieux connus, qui sont pour la plupart ouverts au commerce européen, et que les simples touristes pourraient visiter assez facilement. Nous devons d’ailleurs nous borner, et il nous suffit d’avoir suivi le courageux explorateur dans ces régions de l’Arabie centrale, qui pour l’Europe sont encore des terres vierges, que le fanatisme religieux et politique, secondé par la nature, entoure d’épais voiles.

D’après la relation de M. Palgrave, le centre de l’Arabie n’est point ce que nous pensons. Le désert n’y règne pas en souverain maître. Quand on a franchi les espaces désolés où s’agitent les sables et le simoun, on retrouve le sol cultivable, les plaines fertiles, une population assez compacte, des villes, de nombreux villages. Inclémente pour certains points, la nature a répandu sur d’autres l’abondance et la splendeur de ses dons. Par-delà le désert, l’image de la civilisation apparaît ; le Bédouin nomade fait place à des agglomérations de tribus, à des nations qui ont une histoire, une littérature, des croyances religieuses, de même que le stupide chameau cède le champ au noble cheval du Nedjed. M. Palgrave nous a révélé, avec Niebuhr, ces existences cachées, dont les géographes auront désormais à tenir compte. A-t-il réussi à déterminer avec la même rectitude le caractère des institutions politiques et religieuses de l’Arabie ? Doit-on se fier à ses opinions sur le wahabisme, sur la condition présente de cette étrange doctrine, sur les destinées que l’avenir lui réserve ? Ici le doute peut être permis. On n’étudie pas à la course et d’un regard superficiel de telles questions. La sincérité du voyageur n’est point en cause ; mais sa compétence est discutable. Quoi qu’il en soit, les faits qui ont été observés de bonne foi ont dès à présent, pour l’examen de ces graves problèmes, une valeur propre qu’il serait injuste de méconnaître. M. Palgrave a ouvert et frayé la route au profit des explorateurs qui seront tentés de le suivre et d’ajouter quelques chapitres à ce livre si instructif et si amusant, que l’on peut considérer comme le premier guide du voyageur en Arabie.


C. LAVOLLÉE.