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ouvrages nouveaux dont ses moyens ne lui permettaient pas d’enrichir sa bibliothèque, déjà pourtant fort respectable, passaient des mains du comte Southampton, son ami, dans ses mains. Avec cette sûreté de coup d’œil, cette ouverture, cette profondeur d’intelligence, cette instantanéité de perception, on devine ce que devaient produire ces lectures. C’était l’abeille faisant son miel de tout. A chaque page de ses œuvres, vous en avez le témoignage. Il savait par cœur, la rhétorique de Wilson, l’histoire naturelle de Pline, tenait commerce avec les Grecs et les Romains, les Italiens et les Espagnols. Et toutes ces notions studieusement emmagasinées, toutes ces clartés si diverses, se transformaient ensuite par la méditation, l’observation, le travail secret, inconscient du génie, en facultés originales, en forces immédiates, en élémens personnels de vie et de création. Autrement comment nous expliquerions-nous cette incroyable justesse, dans les descriptions, cette science imperturbable des lieux, des mœurs et des usages, cette infinie et suprême connaissance du détail que la simple expérience pratique ne donne pas, et qu’au plus profond de l’abîme le génie de son œil de faucon ouvert dans l’espace s’en va saisir ? Que fut Shakspeare dans sa jeunesse ? On se le demande encore. Que ne fut-il pas ? Tour à tour apprenti gantier, garçon marchand de laine et garçon boucher, tout cela pour se rendre utile à son père, puis maître d’école et greffier chez un des sept avocats de sa ville natale, ce qui ne l’empêche pas de se farcir la cervelle de médecine et de théologie. « Jurisprudence et philosophie, théologie et médecine ! » c’est le répertoire du docteur Faust, mais, grâce à Dieu, sans que la moindre diablerie intervienne, et cette fois pour la plus grande gloire de la seule humanité. — Parmi tant d’ouvrages fouillés dans ce monde qu’on appelle l’œuvre de Shakspeare, tant de volumes considérables où d’illustres spécialistes se sont appliqués, la faune de Shakspeare, sa flore, sa médecine légale, sa géographie, il en est un, que j’ai là sous les yeux, uniquement consacré à relever, à commenter sa vaste érudition biblique. Et sa physique donc ? et son astronomie ? César parlant de la fixité de l’étoile polaire, Cressida invoquant, bien avant que Newton soit né, les lois de la pesanteur et de l’attraction ! « Mon amour, dans sa puissance et dans sa force, est comme le centre éternel de la terre, lequel attire tout à soi ! » A lire ses drames-chroniques, on jurerait qu’il a vécu l’histoire d’Angleterre depuis Richard-Cœur-de-Lion ; ses connaissances nautiques sont d’un capitaine de vaisseau. On lui reproche d’avoir mis la mer en Bohême, fait de Delphes une île : erreurs graves sans doute ; mais à côté de la topographie, véritable il en est une symbolique bien autrement utile en poésie, et dans celle-là Shakspeare n’a jamais failli. En Danemark comme en Égypte, il est chez lui, et