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sociale cette manière de comprendre le rôle de l’enfance, je voudrais, pour l’avenir de notre pays, que la vérité fût du côté de M. Broca ; mais, je regrette de le dire, la déduction qu’il a tirée de l’examen de la répartition des individus par âges est complètement erronée. Si l’on suppose deux populations comptant à l’origine 10,000 individus, ayant chacune le même nombre d’adultes des deux sexes, le même nombre de vieillards, et donnant le jour chaque année au même nombre d’enfans, de telle sorte que la loi des naissances soit à la fois uniforme et invariable, pour chacune d’elles, mais non pourtant la loi de la mortalité ; cela accepté, si l’on procède, après un quart de siècle, par exemple, à un nouveau dénombrement de ces petites sociétés, et qu’on trouve alors dans l’une des deux une plus forte proportion d’enfans au-dessous de vingt ans, dans l’autre au contraire une plus forte proportion d’adultes au-dessus de vingt ans, on en conclura nécessairement que la population qui compte le plus d’adultes est celle qui a pu élever jusqu’à la virilité le plus grand nombre d’enfans. Cela est par trop naïf, aussi point de dispute là-dessus ; mais est-ce ainsi que la question se présente ? Il y a dans cet exemple imaginaire un élément inflexible qui ne se rencontre plus dans la réalité : c’est le nombre des naissances toujours égal, toujours le même dans chaque groupe de 10,000, et par malheur très inégal dans les sociétés vivantes que nous avons à étudier. Transportons donc cette inégalité dans l’hypothèse jusqu’à présent si favorable à l’argumentation de M. Broca, et l’on verra l’illusion s’évanouir. En effet, si la fécondité n’avait pas été la même en chaque groupe de 10,000, si l’une des deux populations avait vu les naissances se multiplier dans son sein proportionnellement au nombre de ses membres, tandis que l’autre population se serait avec peine accrue d’un petit nombre de rejetons, il est évident que les conclusions à tirer de ce spectacle seraient tout à fait différentes. On comprendrait sans effort, mais aussi sans admiration, que des, deux sociétés, celle qui a été la moins apte à se reproduire doit compter relativement beaucoup plus d’adultes que d’enfans ; on comprendrait aussi que, toutes choses d’ailleurs égales quant à l’éducation, à l’hygiène, au bien-être, la société toujours refleurissante, qui allaite et nourrit le plus grand nombre d’enfans, doit par cette raison même compter un nombre d’adultes relativement moins grand.

Eh bien ! c’est là justement le douloureux contraste qu’on observe entre les populations des deux côtés du détroit. L’Angleterre, depuis la fin du siècle dernier, a vu augmenter, non pas seulement d’une manière absolue, mais aussi relativement au chiffre de ses habitans, le nombre annuel de ses naissances ; nous avons vu au