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pays. Sans parler des approvisionnemens qu’il est aujourd’hui si facile d’aller chercher à l’étranger, et en nous renfermant dans nos frontières, que de champs mai cultivés ou absolument sans culture ! que de richesses inexploitées ! Des seuls produits de son sol, la France pourrait nourrir chez elle, et dans l’aisance, plus de soixante millions d’hommes. La population, eu égard à ses ressources naturelles, y est aujourd’hui en quelque sorte clair-semée. Tandis que la Belgique ne compte pas moins de 160 habitans par kilomètre carré, que la Saxe en nourrit dans le même espace 148, l’Angleterre 132, la Hollande 101, la France, un des pays à tous égards les plus favorisés du ciel, n’a que 68 habitans par kilomètre. En Amérique sans doute, en Espagne, en Russie, en Suède, en Norvège, ailleurs encore, la population est beaucoup plus disséminée ; mais la France est-elle un pays usé et démoralisé comme l’Espagne, un pays neuf comme l’Amérique ? A-t-elle les lacs, les marais et les neiges de la Scandinavie et les vastes steppes inhabitables de l’empire moscovite ? Sous son climat tempéré, elle offre à l’activité de ses enfans un champ relativement deux fois plus vaste que celui où se déploie avec tant d’énergie l’activité anglaise. Nous pouvons donc sans crainte, suivant le mot de la Bible, croître et multiplier, car chez nous, et il en sera ainsi longtemps encore, l’ouvrier manque à la terre, non la terre à l’ouvrier.

Cette limitation forcée du nombre des habitans aux ressources présumées du sol impliquerait au fond la nécessité de restreindre le nombre des naissances. Malthus, qui, pour son châtiment, a imprimé son nom à cette abominable doctrine, Malthus, quoique profond penseur, avait oublié une chose : c’est que la production d’un pays dépend non-seulement du nombre, mais surtout de l’énergie, et de l’intelligence des hommes. « Qu’après la moisson, dit M. Graham avec un légitime orgueil, on remplace la population anglaise par 22 millions d’individus de n’importe quelle nation de l’Europe, croit-on que la production serait encore la même au bout de dix ans ? La population de l’Angleterre, trop nombreuse pour le sol natal au dire de Malthus, alors qu’elle ne comptait que 9 millions d’individus, repoussa ces doctrines, et un peuple de 28 millions, couvre aujourd’hui le sol du royaume-uni ; il a lancé vers l’occident une longue ligne de colonies, d’états indépendans où l’on parle sa langue, où l’on conserve dans sa pureté la vie de la famille anglaise, et dont les habitans, n’ayant rien perdu de l’ardeur au travail, du courage et de l’intelligence de la race, fournissent à la mère-patrie en échange de produits manufacturés de quoi nourrir leurs concitoyens et alimenter leur industrie. »

Voilà ce qu’il est bon de rappeler aux ingénieux économistes qui,